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La création d’un univers narratif de science fiction


Les littératures de l’imaginaire ont longtemps été méprisées et considérées comme une littérature pour enfants et ados, proposant avant tout “une fuite de la réalité”. Les romanciers de science-fiction et de fantasy proposent au contraire de mieux comprendre notre réalité à travers la création d’univers narratifs originaux. Mais comment créer un univers narratif pour un roman de science-fiction ? L’invente-on au fur et à mesure de l’écriture ? Doit-on tout préparer au préalable comme dans les jeux de rôles ?  Et, au fait, c’est quoi au juste un “univers narratif” ?


L’écrivain américain Henry James était un défenseur passionné de l’art du romancier. Dans “The art of fiction” (1884) il définit la responsabilité du narrateur littéraire : créer des personnages et un monde narratif dans lequel seront plongés ces personnages. Les lecteurs s’identifieront à ces personnages et seront immergés dans le monde de l’histoire. 

Pour les auteurs de science-fiction, la tâche s’avère encore plus complexe que pour le romancier contemporain. Le romancier britannique Paul J. McAuley nous raconte comment on peut se perdre dans le travail de recherche pour créer l’univers narratif d’un roman de science-fiction :

La consistance de l’univers narratif est plus importante que sa plausibilité

Paul J. McAuley : J’aime découvrir les choses au fil de l’écriture. Donc à mesure que je rédige le premier jet, je réalise que je manque de connaissances dans tel ou tel domaine. Alors avant d’attaquer la réécriture j’effectue des recherches. Certains écrivains font énormément de recherches et de travail préparatoire, mais pour moi trop de recherches risque de tuer l’histoire. Bien sûr j’aime que mes histoires aient l’air réalistes, mais davantage en ce qui concerne l’intrigue que l’univers narratif. 

« Certaines de vos trouvailles ne serviront pas dans l’histoire »

Paul J. McAuley : La consistance de l’univers narratif est plus importante que sa plausibilité. Et pour atteindre cette consistance il faut jeter énormément de choses. Si vous faites beaucoup de recherches, sachez que certaines de vos trouvailles ne serviront pas dans l’histoire. Mais elles en nourriront le background. J’ai écrit une série de romans qui se déroule autour des lunes de Saturne et Jupiter. Pour ça j’ai fait énormément de recherches sur ces territoires, leur composition, etc. Beaucoup de mes trouvailles n’apparaissent pas dans le roman. Mais elles m’ont servi, en alimentant mon imaginaire, et en me permettant de mieux connaître l’endroit où évoluent mes personnages.

Donner une illusion d’exhaustivité 

Dans les littératures de l’imaginaire, J.R.R. Tolkien est le maître incontesté de la construction d’un univers narratif. En effet, il a passé 40 ans à construire le monde du Seigneur des Anneaux, dont il a créé les langues, ainsi que l’histoire des différents peuples de ce monde, une histoire s’étendant sur des milliers d’années.
Créer un univers narratif demande du temps. C’est pourquoi les auteurs de SF ou de fantasy utilisent souvent dans des cycles les univers qu’ils construisent.
D’autres, comme Alastair Reynold, utilisent la “technique de l’iceberg”. Il s’agit de donner l’illusion au lecteur que le monde de l’histoire est plus riche que ce qu’il en est : 

« On crée une illusion dans l’esprit du lecteur »

Alastair Reynolds : En science-fiction, il faut parvenir à donner l’impression au lecteur que l’univers que l’on décrit est plus complexe qu’il n’y parait. On crée une illusion dans l’esprit du lecteur pour qu’il croie toujours qu’il y a un truc caché au coin de la rue. Si on raconte l’histoire d’une civilisation galactique, on ne peut pas donner le nom de toutes les planètes habitées, mais l’auteur doit faire croire qu’il connaît le nom de toutes ces planètes.

Il existe des astuces pour donner l’impression d’un monde plus vaste derrières la page. Écrire des nouvelles est un très bon exercice pour apprendre à maîtriser ces méthodes car on manque de place pour faire vivre son univers et raconter l’histoire. Si on arrive à écrire ça en 3000 mots, on acquiert une compétence qui sera très utile dans l’écriture de roman.

L’univers narratif influe l’intrigue et les personnages

L’univers narratif d’un roman de science-fiction n’est pas une fin en soi. Ce univers ne sera pas uniquement un décor. Il influencera directement les personnages, comme l’explique l’écrivain de science-fiction Peter F. Hamilton :

Peter F. Hamilton : Quand vous avez créé votre monde, vous savez quel genre de personnes qui vivent dans ce monde. Je dois préparer de nombreux détails : par exemple le niveau de technologie est tellement élevé que les personnages vont devoir faire tel genre de job… Ceci sera la politique et l’économie, donc cela dicte plus ou moins le type de gens qui vivront dans ce monde, ce qui me donne une base pour ajouter des caractéristiques individuelles aux personnages. Donc tout cela se crée conjointement, de manière organique.

« Personnages et univers narratif  sont des éléments organiques »

Le risque est de développer son univers narratif au détriment des personnages. Le romancier de science-fiction britannique, Christopher Priest (auteur du “Prestige”, adapté au cinéma par Christopher Nolan) nous raconte comment il a expliqué cela à un jeune romancier :

Christopher Priest: Je crée les personnages et l’univers narratif ensemble, ce sont des éléments organiques selon moi. Je me souviens qu’il y a quelques années, j’ai lu le manuscrit d’un jeune auteur : le premier chapitre faisait la description d’un vaisseau spatial. Et ça racontait : “Il ouvrit la porte et alla par là, il regarda le réacteur nucléaire, des diodes clignotaient. Il alla par ici et regarda les servo-machines, les relais commutaient…” Et c’était comme ça page après page. J’ai dit à l’auteur : “Mais c’est vraiment ennuyant ! Je ne comprends pas toutes ces choses, quel est leur intérêt ? Ton personnage est le capitaine de ce vaisseau, il voit ces trucs tous les jours et ne devrait plus y prêter attention. Imagine l’environnement au travers des yeux de ton capitaine : s’il fait anormalement chaud, ou si une diode ne clignote pas, qu’il y a truc de cassé, là ton personnage devrait le remarquer.” Je pense que c’est ce type de détails qui donne vie à un environnement. Quand je crée un personnage, je crée le décor qui l’entoure à partir de ce que le personnage en perçoit.

Le bagage des personnages

Mathieu Rivero, jeune romancier français de science-fiction et de fantasy, nous raconte comment il construit conjointement l’univers narratif et les personnages de son roman :

Mathieu Rivero : En fait, l’idée et les personnages arrivent souvent avec un univers, des bagages. Par exemple, quand j’ai eu mon idée de polar cyberpunk, j’ai pensé tout de suite que je voulais faire une espèce de polar avec des personnages qui ont des membres artificiels. Et j’avais un détective assez classique, un peu rentre dedans, un peu imbu de lui-même. Il n’est pas très malin en fait… très intelligent mais pas malin. Il fait toutes les erreurs qu’on peut faire en étant insouciant. Du coup ça amène un certain entourage, une certaine thématique aussi.

L’intrigue va nourrir aussi l’univers narratif

Mathieu Rivero précise comment l’histoire va pour lui se densifier au moment de la construction de l’univers narratif du roman :

Mathieu Rivero : Donc je dirais que l’univers et les personnages se nourrissent, et l’intrigue va nourrir aussi l’univers. Je définis l’univers pendant la planification principalement, mais ça va commencer avant. Quand j’ai les premières idées, j’ai des idées sur le monde, sur l’univers narratif. Bien sûr, ça n’empêche pas de créer pendant la rédaction. C’est plein de petites décisions en fait.  

L’univers pose des questions techniques

Jusqu’où faut-il aller dans la construction de l’univers narratif d’un roman de science fiction ? Doit-on connaître la composition chimique de l’atmosphère de chaque planète que l’on créera ? Non. En revanche, il est essentiel de connaître les conséquences de tel ou tel choix dans l’univers narratif. Mathieu Rivero, toujours, nous raconte comment chaque choix opéré par le romancier aura des conséquences : 

Mathieu RIvero : Par exemple, pour Or et Nuit, il est arrivé un moment où le personnage devait se laver. Ça posait des questions techniques parce que ça se passe dans le désert donc c’est la galère. Est-ce qu’il se lave avec de l’eau ? Avec du sable ? Est-ce qu’il y a une oasis ? Est-ce que je prend le temps de créer une oasis ? Toutes ces questions, elles se sont posées sur le moment, quand je me suis dit que mes personnages devaient se laver quand même… Bon, j’exagère évidemment. Je ne pense pas qu’il y ait ce genre de scène dans le roman.

Alors, faut-il tout préparer pour ne pas être pris de court ? Certains romanciers, comme Tolkien, auront besoin de connaître par coeur leur univers narratif. Nombreux sont ceux qui ajusteront au fur et à mesure, comme nous l’explique Mathieu Rivero :

Mathieu Rivero :  Je ne pense pas toujours à tout avant que la question se pose pendant la rédaction. Même si j’ai le déroulé de la scène en amont, elle s’articule vraiment quand je me mets à rédiger. Les éléments se mettent en place, et parfois ça me fait réaliser que je dois faire des recherches parce que je ne sais pas comment telle ou telle chose peut se passer. Voilà, ça se nourrit des recherches et de l’imagination. On peut inventer, on a le droit, on a la licence poétique qui est formidable !

Réutiliser un univers narratifs connu dans son roman de science fiction

Alastair Reynolds aux Intergalactiques

Certains romanciers créent un univers narratif qu’ils utiliseront pour plusieurs romans, ce qui peut poser des problèmes de cohérence, comme nous l’explique le romancier de science fiction britannique Alastair Reynolds :

Alastair Reynolds : Quand on reprend et qu’on étend un univers connu dans un nouveau roman, il y a beaucoup de questions de cohérence à se poser : la cohérence de l’univers lui-même et la cohérence des personnages aussi.
Lorsqu’on crée un univers neuf, il faut le définir entièrement, poser ses règles de fonctionnement et sa géographie. Les deux choses sont aussi complexes pour moi. J’ai écrit plusieurs livres qui sont liés entre eux, j’ai aussi écrit des romans qui n’appartiennent pas à une série, et aucun ne m’a paru vraiment plus simple à créer.

L’expérience du lecteur sera plus immersive si l’auteur recréer le monde de l’histoire où il plonge ses personnages, comme le souligne Henry James. Les auteurs de littérature de l’imaginaire doivent complètement construire l’univers narratif (climat, groupes sociaux, technologie, règles). Cet univers transformera l’histoire, impactera les personnages et fera voyager le lecteur.

Vous aimeriez en savoir plus sur la construction d’un univers narratif quand on écrit de la littérature de l’imaginaire ?

L’auteur de Fantasy Valérie Simon explique comment elle construit ses univers narratifs (vidéo – 13 mn)

Olivier Paquet, écrivain français de science-fiction, répond aux questions des Artisans de la Fiction : Olivier Paquet – Techniques de la Science Fiction (vidéo – 13 mn)

Cet article vous a intéressé ? Lisez la version complète des interviews de Peter F. Hamilton, Alastair Reynolds, Christopher Priest  et Paul J. McAuley.

Nous remercions toute l’équipe des Intergalactiques ainsi qu’Audrey Burki qui ont rendu ces interviews possibles. Nous remercions tout particulièrement Loïc Moran, pour son aide précieuse lors de la réalisation de certaines de ces interviews.

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À la librairie Vivement Dimanche, Gabriel est un passionné de littératures de l’imaginaires. Il vous conseillera avec plaisir dans vos choix de lectures !

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