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Les adaptations sont-elles mauvaises ?


Les adaptations ne sont pas des trahisons. Ce sont des mutations. Si vous exigez qu’on vous raconte la même chose, ne quittez jamais votre bibliothèque. Mais sachez que toutes vos histoires préférées sont déjà des adaptations.

« Il n’existe pas d’histoire “originale” : il n’existe que des variantes d’un mythe qui nous précède. »
— Northrop Frye, Le Grand Code

On entend souvent ce soupir de déception à la sortie d’une salle obscure ou d’un canapé Netflix : « Le livre était mieux. » Sous cette plainte faussement douce se cache une crispation bien plus viscérale : le sentiment d’avoir été trahi. Par le réalisateur, par les acteurs, par le scénariste. Mais surtout par l’idée même que quelqu’un ait osé toucher à l’œuvre adorée.

Le vrai problème, c’est que nous ne regardons pas une adaptation : nous la comparons à notre mémoire intime.

Toutes les histoires sont des adaptations

Depuis l’Antiquité, les histoires s’engendrent les unes les autres. Roméo et Juliette vient de Pyramus et Thisbé. Marche ou crève reprend On achève bien les chevaux, qui lui-même n’est qu’un autre visage du mythe de la compétition jusqu’à la mort. Star Wars est une version spatiale du Roi Arthur. Chien 51 convoque Le Meilleur des mondes autant que Blade Runner.

Northrop Frye le martelait :

« Les structures fondamentales de nos récits sont mythiques. L’invention consiste à varier le motif, pas à prétendre l’avoir découvert. »

Tout récit est adaptation. Toute œuvre puissante est recomposition. Sauf qu’en littérature, on appelle cela hommage, variation, ou influence. Et au cinéma, on parle d’infidélité.

L’adaptation comme épreuve émotionnelle

Ce qui blesse dans une adaptation ratée, ce n’est pas son infidélité. C’est le fait qu’elle ne nous restitue pas l’émotion que le livre avait ancrée en nous. Nous ne reconnaissons pas notre expérience. Et nous avons l’illusion que c’est l’adaptation qui est fautive, quand parfois, c’est simplement nous qui sommes devenus inaptes à voir autrement.

À l’inverse, certaines œuvres réussissent à capturer la charge affective du texte d’origine, même si elles s’en éloignent dans les faits. L’exemple récent de Marche ou crève, adapté de Stephen King, le montre brillamment.

Le film change beaucoup : la fin est modifiée, les personnages permutés, et la haine glaçante que les marcheurs vouent aux foules qui les acclament est effacée. Et pourtant, l’émotion, le désespoir, la tension existentielle y sont. Parce que le film, comme le roman, sait que ce qui compte n’est pas la performance mais le lien. C’est une œuvre sur la mort, oui, mais aussi sur les amitiés qui émergent quand plus rien ne tient. En cela, elle reste fidèle. D’autant plus que Marche ou crève était déjà lui-même une adaptation libre de On achève bien les chevaux d’Horace McCoy — et le film aussi de son adaptation filmique de 1969.

Quand on trahit mal, on échoue

L’adaptation de Chien 51 de Laurent Gaudé, elle, échoue là où King réussit. Elle choisit un réalisme dystopique à la française : gris, sobre, sérieux. Mais elle oublie les éléments symboliques fondamentaux du roman : le “LoveDay”, littéralement calqué sur Le Meilleur des mondes, ou encore les mécanismes de classe et de conditionnement social. En les effaçant, le film trahit non pas l’histoire, mais la vision du monde qu’elle incarnait.

C’est une erreur classique : croire que le fond est l’intrigue, quand le fond, c’est le regard.


Et parfois, la trahison devient chef-d’œuvre

Certaines adaptations sont ouvertement infidèles. Elles ne respectent ni l’histoire, ni les personnages, ni le ton. Elles respectent une seule chose : l’élan intérieur qui a donné naissance au livre.

Paul Thomas Anderson, dans Une bataille après l’autre, s’inspire librement de Vineland de Thomas Pynchon. Le film est tout sauf fidèle : ni dans l’action, ni dans la structure. Mais il est puissamment pynchonien, dans son chaos narratif, sa satire douce-amère, son amour des marginaux. C’est un cas d’école d’adaptation libre qui, au lieu de copier, transpose l’âme.

Adapter, c’est jouer avec le mythe

L’adaptation n’est pas trahison. C’est un nouvel acte de narration dans une chaîne d’héritage. C’est accepter qu’une histoire vive dans d’autres corps, d’autres voix, d’autres médias. Ceux qui reprochent à une adaptation de ne pas coller au texte reprochent à un enfant de ne pas être un clone.

Comme le dit Frye, toute littérature est une immense spirale où les récits reviennent, se métamorphosent, se répondent. Et nous, lecteurs, avons le droit de préférer l’original. Mais pas de nier la légitimité du processus créatif qu’est l’adaptation.

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