On vous a répété qu’« écrire, ce n’est pas divertir » ? Alex Hay prouve le contraire. Avec ses braquages édouardiens et ses grandes maisons pleines de secrets, l’auteur britannique montre qu’on peut respecter l’Histoire, jouer avec les genres et, surtout, régaler ses lecteurs. Univers-contenants, intrigues conçues comme des arnaques, voix multiples millimétrées : bienvenue dans la cuisine d’un romancier qui assume que la joie de lecture est un critère technique.
Alex Hay a tout compris à une vérité que beaucoup d’auteurs préfèrent oublier : le lecteur ne demande pas qu’on le « élève », il demande d’abord qu’on le régale. Pas au rabais, pas avec du fast-food narratif, mais avec un vrai menu : un univers riche, des personnages savoureux, une intrigue qui croque, un style qui laisse un goût de reviens-y.
Auteur britannique de romans historiques – Les Gouvernantes (The Housekeepers) et La Reine des Cinq (The Queen of fives) – Alex Hay s’est spécialisé dans un mélange explosif : fiction historique + braquage + plaisir assumé de la narration. Ses histoires se déroulent dans des maisons somptueuses, des Londres édouardiens étincelants, avec des domestiques conspirateurs, des héritières ridicules, des arnaques complexes dignes d’un casse organisé par Ocean’s Eleven dans Downton Abbey.
Et ce qui l’obsède n’est pas seulement la justesse historique, mais la promesse faite au lecteur : tu viens à ma table, je t’offre un festin.
« Je réfléchis d’abord à l’univers de mon livre. Quel est le cadre ou le contenant de mes personnages ? Puis, lorsque je commence à ouvrir les portes et à dévoiler cet univers, qui s’y trouve ? »

Régaler, c’est d’abord dresser la table : l’univers comme “contenant” des personnages
Avant les personnages, avant l’intrigue, Alex Hay pense au lieu. Pas un décor vague, mais un contenant : une grande maison, un quartier, un ensemble de bâtiments, un monde clos où les forces vont s’affronter.
Il plaisante auprès de son éditeur en disant qu’il veut « une grande maison avec une famille dysfonctionnelle » – formulation à moitié ironique, mais qui dit l’essentiel : un bon roman, c’est une architecture sociale. Une maison pleine de portes, de couloirs, d’escaliers, de niveaux de pouvoir. Un espace où l’on peut cacher des secrets, organiser un braquage, tisser des alliances, tendre des pièges.
Dans son travail, cela donne une méthode très concrète :
– Quel est le bâtiment, le « contenant » de mes personnages ?
– Qui y habite, qui y travaille, qui y rôde en marge ?
– Quelles rivalités, jalousies, inimitiés, passions agitent ce monde clos ?
Dès que ces tensions apparaissent, l’intrigue se met en place presque mécaniquement. Régaler le lecteur, ici, commence par lui offrir un lieu où chaque porte ouvre sur une promesse de conflit.
« Quand je commence à ouvrir les portes et à dévoiler ce monde, qui y trouve-t-on ? Et quelles rivalités, passions, jalousies, inimitiés existent entre ces personnes ? Et une fois que j’ai ces points de conflit, c’est là que l’intrigue commence à se développer. »

La joie du plan… et du premier jet “horrible”
Alex Hay le dit sans fard : il a commencé comme planificateur obsessionnel. Pour Les Gouvernantes, il avait tout prévu, « chaque scène », au point que son plan est devenu « une sorte de premier jet horrible dans un tableur ». Résultat : une intrigue cohérente, mais des motivations émotionnelles encore trop faibles, des personnages à affiner – d’où de gros remaniements, comme la fusion de deux personnages en une seule Mrs Bone pour renforcer la cohérence dramatique.
Avec The Queen of Knives, il repart sur un plan minutieux… qu’il finit par jeter. Le roman manque d’énergie. Il décide alors d’écrire « ligne par ligne, page par page », en gardant bien en tête le cadre de l’arnaque : quel est le coup ? quel est le plan ? qu’est-ce qui doit mal tourner, et quand ?
« Il s’agit de rassembler tous ces éléments, puis de commencer à les tester, à les travailler, à les modeler, puis à rédiger un premier jet horrible, vraiment horrible, sur lequel vous pourrez travailler plus tard. »

Régaler ses lecteurs, ici, c’est accepter que le premier service soit raté. La cuisine, c’est la réécriture : on goûte, on ajuste, on épice, on jette les plats fades, on renforce les saveurs. L’important, ce n’est pas d’être génial dès le premier coup, c’est d’être implacable dans la manière dont on teste son plan d’arnaque narrative :
– Où sont les failles ?
– À quel moment le lecteur devine quelque chose ?
– Quel rebondissement faut-il avancer, retarder, amplifier ?
Un roman qui régale est un roman qui a été dégusté, découpé, re-dressé avant d’arriver à table.
Multiplier les points de vue comme un menu dégustation
Alex Hay adore le point de vue. Non pas comme un gadget technique, mais comme un dispositif pour enrichir la saveur du récit.
« J’adore parler du point de vue. Parce que je pense que cela vous donne beaucoup de liberté lorsque vous racontez une histoire. […] J’aime beaucoup avoir, disons, deux ou trois perspectives pour commencer. »
Deux ou trois, pas quinze. Il assume avoir parfois été « coupable d’avoir un casting trop important », au point de s’y perdre lui-même. Régaler le lecteur, ce n’est pas le gaver. C’est lui proposer un menu dégustation où chaque plat a une saveur nette, une identité claire.
Sa règle implicite :
– Limiter le nombre de points de vue.
– Rendre chaque voix immédiatement reconnaissable par le lecteur.
– Utiliser un nouveau point de vue seulement si cela ajoute un mystère, une question, une tension supplémentaire.
« La voix est la joie de l’écriture, et le fait d’avoir des voix différentes et de les rendre aussi différentes que possible, aussi uniques et individuelles que possible, vous donne, en tant qu’écrivain, la possibilité de vraiment tester votre art. […] Le lecteur doit savoir instantanément à qui appartient la voix. »
Régaler, ici, c’est prendre la voix au sérieux : chaque narrateur est un plat distinct, pas une variation tiède du plat précédent.
Mélanger les genres sans insulter la tradition : la créativité sous contraintes
Alex Hay est un partisan déclaré de l’hybridation. Les Gouvernantes est pensé comme un braquage – un heist – transposé dans l’univers feutré d’un grand hôtel particulier londonien, en 1905 : un mélange entre fiction historique, suspense, comédie sociale et récit de casse.
« Il n’y a rien de plus délicieux que de mélanger deux genres. […] J’ai essayé de prendre un archétype classique de cambriolage […] et de réfléchir aux attentes des lecteurs […] mais comment pouvais-je y ajouter un cadre inattendu ? »

Mais cette liberté ne s’appuie pas sur le mépris des genres. Au contraire : il insiste sur la nécessité de respecter les codes, de comprendre les attentes du lecteur pour pouvoir jouer avec elles. En fiction historique, il distingue deux camps :
– Ceux qui cherchent la fidélité quasi totale aux faits, aux archives, aux détails sensoriels.
– Ceux qui s’inspirent de la fiction écrite à l’époque, qui captent les voix, les rythmes, les atmosphères, et s’autorisent des anachronismes ludiques – à condition que le lecteur sente que le « ton » reste juste.
« Dans ce type de fiction historique, vous dites à votre lecteur : “Venez avec moi dans un voyage où je vais modifier certains éléments des archives historiques pour les adapter à mon intrigue.” […] Mais j’espère que le lecteur aura toujours le sentiment de pouvoir se fier à la voix, aux dialogues et à l’atmosphère du monde. »
Régaler ses lecteurs, ce n’est pas tout leur passer, ni tout leur refuser. C’est être clair sur le pacte : voici le type de plat que je sers, voici la tradition dans laquelle je m’inscris, voici ce que je me permets de tordre – et voilà pourquoi, malgré tout, tu peux me faire confiance.
La joie comme critère non négociable
Chez Alex Hay, l’ambition n’est pas honteuse : il veut que ses histoires soient joyeuses à lire. Même lorsqu’elles parlent d’arnaques, de transgression ou de rapports de classe, elles doivent rester profondément jubilatoires.
« Nous avons besoin de joie dans nos vies. Nous avons besoin de bonnes histoires. Bien racontées. »
Et il le rappelle avec une fermeté tranquille : la fiction de genre n’est pas un sous-produit. Elle est au cœur de ce besoin humain de récit, de sens et de plaisir. Dans le Zeitgeist actuel, il plaide pour :
– Plus de voix différentes.
– Plus de genres assumés (polar, fantasy, historique, etc.).
– Des livres qui se vendent vraiment parce qu’ils savent ce qu’ils promettent et tiennent cette promesse.
Régaler ses lecteurs, c’est croire que le plaisir narratif est une valeur en soi – et qu’on peut l’atteindre sans renoncer à la complexité, ni à l’exigence.

Vous aussi, régalez vos lecteurs !
Que peut retenir concrètement un auteur de l’approche d’Alex Hay ?
- Commencez par la salle, pas par le dessert.
Avant de bricoler votre intrigue, définissez le « contenant » : maison, village, quartier, navire, château, tribunal, restaurant. Listez qui y circule, qui commande, qui obéit, qui triche. Les conflits naissent de cette topographie sociale. - Faites de vos rivalités la colonne vertébrale de l’histoire.
Notez jalousies, inimitiés, pactes brisés, privilèges contestés. Demandez-vous : si je ferme ces personnages dans une même maison pendant 24 heures, qu’est-ce qui explose en premier ? - Limitez vos points de vue, travaillez vos voix.
Deux ou trois points de vue bien distincts valent mieux qu’un chœur confus. Faites le test : un lecteur peut-il, en lisant une page sans nom, deviner qui parle ? - Choisissez votre pacte avec l’Histoire.
Êtes-vous dans le camp de la fidélité stricte, ou dans celui de la recréation ludique mais atmosphériquement juste ? Dans les deux cas, dites-le à vous-même clairement. Cela évite les dissonances. - Tenez un carnet de lecture gourmand.
Comme Alex Hay qui note sur son téléphone pourquoi un passage l’a happé, entraînez-vous à repérer ce qui vous fait tourner les pages : danger, secret, humour, colère, injustice ? Plus vous identifiez vos plaisirs de lecteur, plus vous saurez les cuisiner pour vos propres lecteurs. - Autorisez-vous un premier jet “immangeable”.
Le roman qui régale est rarement celui qui a été « bien écrit » du premier coup. Acceptez le premier jet comme une pâte brute. Le travail d’artisan, c’est la série de réécritures où vous dosez, coupez, condensez, intensifiez.
Régaler ses lecteurs, ce n’est pas « céder au public ». C’est prendre très au sérieux le fait qu’un lecteur vous offre des heures de sa vie – et que vous avez la responsabilité de les rendre intenses, joyeuses, mémorables.
« Toutes les histoires qui nous apportent de la joie et du divertissement et nous aident à nous connecter à un personnage dans un monde que nous n’aurions peut-être pas rencontré autrement… elles ont une valeur immense. »
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