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Éditer des histoires – Les Moutons électriques


« Nous recherchons des textes écrits dans une langue soutenue »


Comment travaillent les éditeurs ? Que publient-ils ? Sur quels critères sélectionnent-ils les manuscrits ? Cherchent-ils de nouveaux auteurs ?
André François Ruaud, fondateur de la maison d’édition « Les moutons électriques » répond à ces questions, et défriche l’horizon : alors que la fiction vit un nouvel âge d’or avec les séries télé, quel avenir pour la fiction littéraire de genre ?

Combien de manuscrits d’aspirants auteurs ou d’auteurs inconnus recevez-vous quotidiennement, annuellement ? Combien en retenez-vous ?
André François Ruaud : En fait nous avons récemment décidé de ne plus accepter de recevoir les manuscrits, parce que notre programme est bien plein pour les deux ou trois prochaines années. Nous en recevions quelque chose comme un par jour. Et en 13 ans d’existence, nous n’en avons malheureusement retenu que 6.

Pour vous, quelle charge de travail représente le « tri » de ces manuscrits ?
Ce tri est en général très rapide à faire : il suffit de lire les premières pages pour se rendre compte si l’écriture semble correcte. Souvent même, la lettre de présentation et/ou le pitch du roman suffisent à les trier.

Nous avons parfois hésité en revanche sur quelques manuscrits, et là ça prend bien sûr du temps : lectures en interne, consultation d’un ou d’une lectrice de notre équipe… Mais en fait, nous avons réalisé qu’à chaque fois que nous avions un tant soit peu hésité sur un manuscrit, nous l’avons finalement refusé. Les manuscrits que nous avons acceptés, ce furent à chaque fois des coups de cœur immédiat : la certitude dès en feuilletant le projet et le texte que « oh, ça c’est pour nous ». C’est hélas rare.

Quels sont les plus gros problèmes de ces manuscrits ?
L’absence de connaissance de notre domaine, à savoir les littératures de l’imaginaire. Nous recherchons des romans qui s’inscrivent pleinement dans les courants les plus actuels de nos littératures, et ce sont des genres qui évoluent très vite, au lieu de quoi on nous propose trop souvent des univers déjà vus au style hésitant, immature. De plus, nous recherchons des textes écrits dans une langue soutenue, avec une vraie exigence de style.

Quels problèmes d’écriture présentent-ils ?

Style trop faible, psychologie superficielle, ignorance des règles narratives contemporaines ainsi que des thématiques porteuses et pertinentes en littératures de genre : disons-le, il faut lire pour les connaître. Une présentation professionnelle du manuscrit est également nécessaire : il faut envisager cette démarche comme une recherche d’emploi, avec la même rigueur, la même politesse.

Préfériez-vous ne plus recevoir de manuscrit du tout, mais par exemple, solliciter des projets auprès de certains auteurs que vous connaissez déjà, voire passer commande à certains auteurs débutants ayant fait leurs preuves via des nouvelles publiées ?
Absolument : c’est ce que nous faisons. En ce domaine comme dans toutes les professions, le réseau est primordial. Nous n’avons retenu que 6 manuscrits en 13 ans, tout le reste de nos publications provient par conséquent de commandes et de relations, y compris des suggestions effectuées par nous auprès d’auteurs n’ayant fait que des nouvelles (un excellent nouvelliste belge est en train de nous faire un roman, à notre demande) ou publié uniquement en micro-édition (nous avons ainsi « recruté » une bonne partie des auteurs passés par le label Le Carnoplaste, par exemple, y compris l’éditeur lui-même).

Parlons de votre ligne éditoriale : à l’origine Les Moutons électriques publiaient essentiellement des auteurs français, quelle est aujourd’hui la part de traductions (et surtout de livres anglo saxons) par rapport aux livres français ? Les traductions se vendent-elles mieux ? Si oui, à quoi cela tient-il ?

Nous ne faisons quasiment pas de traductions et n’en avons jamais tellement fait, notre spécialité c’est et cela reste la création francophone. Il nous semble plus intéressant de collaborer avec des auteurs de langue française, de faire naître avec eux des œuvres, de réaliser un travail éditorial riche et enthousiasmant. En effet, il nous semble plus intéressant de collaborer avec des auteurs de langue française, de faire naître avec eux des œuvres, de réaliser un travail éditorial riche et enthousiasmant. Globalement, les traductions se vendent-elles toujours mieux ? Oui, certainement —  la force du gros argent et de l’inertie acquise, forcément.

Quelles sont pour vous les forces des auteurs de genre français par rapport aux auteurs anglais ou américains ? Et inversement ?
Les auteurs français de genre n’ont tout simplement plus rien à envier, littérairement, à leurs collègues anglos. Je pense même que le niveau est peut-être légèrement meilleur du côté francophone, désormais, en tout cas la créativité et l’inventivité se trouvent bien du côté francophone. Leur force étant leur culture, leur volonté de travailler avec un directeur littéraire qui les accompagne réellement, et leur présence : un auteur francophone est derrière son livre, il le signe en librairie et en salons, il discute sur les réseaux sociaux…

Qu’est ce qui fait un bon livre pour vous, un livre que vous avez envie de dévorer en tant que lecteur/lectrice et de publier en tant qu’éditeur/éditrice ?
Je suis gourmand des tendances les plus actuelles des littératures de l’imaginaire : le retour du surnaturel, l’influence « pulp » et « comics », l’explosion hors des cadres des genres bien établis comme la fantasy ou le space opera pour mélanger, ouvrir, créer en ce moment finalement une nouvelle littérature de genre bien plus vaste et moins cloisonnée… Et je ne publie en tant qu’éditeur que ce que j’aime lire en tant que lecteur.

Quelles seraient les qualités d’écriture que vous rêveriez de trouver dans un manuscrit d’auteur inconnu parvenant dans la boite aux lettres de votre maison d’édition ?

Une belle plume ample et charnue, une gourmandise du vocabulaire, une malice dans la narration… exactement ce qui nous a fait « craquer » récemment sur le manuscrit de Nicolas Texier, « Opération Sabines » (manuscrit nous étant arrivé par réseau, ceci dit).

Avez-vous senti une évolution dans les manuscrits que vous recevez depuis votre lancement ?
Pas réellement. Quelques bonnes surprises, beaucoup de manuscrits peu commerciaux ou manquant d’originalité, du petit truc qui donne envie d’en lire plus.

Quelle est la part de « 1er romans » français de votre offre éditoriale annuelle ? Pourquoi ?
Plusieurs ! Pourquoi, eh bien parce que la création francophone c’est notre cheval de bataille. Au point qu’avec nos collègues ActuSF et Mnémos nous avons créé une opération, les « Pépites de l’imaginaire », chaque mois de février, pour mettre en avant nos plus belles découvertes.

Les auteurs anglo-saxons sont formés à la narration littéraire, à l’art de raconter des histoires, et ce dès l’école primaire. Est-ce que pour vous, cela produit un formatage dans les livres écrits dans la sphère anglo-américaine ? Ou de meilleurs narrateurs ?
Certainement les deux : trop de formatage mais aussi un niveau qui, jusqu’à tout récemment encore, était plus « pro ». Mais ça change, nous travaillons maintenant avec des auteurs francophones qui sont de plus en plus forts narrativement, tout en n’étant pas formatés.

Que penseriez-vous de l’idée de proposer en France des formations à la narration littéraire équivalentes à celles dispensées aux étudiants anglo-saxons ?
Quid du marché ? Je ne suis pas persuadé que le marché, maintenant au bord de l’effondrement, puisse absorber un surplus d’auteurs supplémentaires, même formés.

Pour vous, le succès d’autres formes narratives (les séries télé, les jeux vidéos,… ) fait il perdre des lecteurs ? Ou, au contraire amènent-elles des lecteurs vers des romans ou genres littéraires dont elle sont souvent inspirées ?
Oui et non. Ces nouvelles formes narratives prennent du temps à la lecture pour un plaisir différent (j’oserai plus instantanée). Or, tout le monde a les mêmes 24 heures, et un temps limité pour lire, jouer, visionner. Il me semble nécessaire que nous autres, acteurs du livre, éditeurs, auteurs, libraires, nous nous adaptions à ce nouveau public issu de la « culture geek », que nous arrivions à trouver le point de jonction. On y réfléchit. Croyez-moi, on y réfléchit. C’est d’ailleurs un peu l’idée derrière une collection que nous coéditons : «  Les Saisons de l’étrange », une sorte de Netflix littéraire, des livres qui fonctionnent en saison, très « fun ».

La narration littéraire a-t-elle des cartes à jouer face à ces nouvelles formes de distractions, pour vous ? Lesquelles ?

Je ne le sais pas. Les possibilités sont énormes, le livre se trouve indiscutablement à un nouveau tournant de sa (longue) existence. Une certitude, il doit s’adapter à cette nouvelle forme de culture, que ce soit directement (un roman des Moutons est devenu un jeu de rôle par exemple, Wastburg de Cédric Ferrant) ou indirectement, en s’inspirant des moyens de « consommation » du monde geek, comme les « Saisons de l’étrange ». En France, le cinéma et la littérature de l’imaginaire ne se sont que trop peu mêlés. Et puis en France, le cinéma et la littérature de l’imaginaire ne se sont que trop peu mêlés. C’est un tort qui pourrait être réparé et aider grandement des auteurs très talentueux (qui le mériteraient amplement, et puis quoi, une adaptation grand écran de « Gagner la guerre », ça ne vous fait pas rêver?)

Pensez-vous, qu’aujourd’hui, le problème n’est pas de former plus d’écrivains, mais de former des lecteurs, car il y en a de moins en moins ?
Oh que oui : trop de monde veut écrire, alors qu’en fait, ce qu’il faudrait, c’est que trop de monde veuille lire.

 

Remerciements à André François Ruauld – Nargès Temimi – Auvergne Rhône Alpes Livre et Lecture.

Le site des Moutons électriques

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