Non, écrire un bon dialogue ne consiste pas à écrire « comme dans la vraie vie ». Les dialogues réalistes sont plats. Les dialogues crédibles sont tendus. La différence ? Le sous-texte. Ce qu’on cache. Ce qu’on nie. Ce qu’on suggère au lecteur sans jamais le dire. Dans une scène forte, chaque ligne est un champ de bataille. Bienvenue dans la narration !

1. À quoi sert un dialogue ?
Un dialogue efficace n’est pas un bavardage, ni une retranscription fidèle de conversation. C’est un outil narratif à fonctions multiples :
- faire avancer l’action (chaque ligne doit avoir un effet),
- révéler la psychologie et les tensions entre personnages,
- accroître le rythme (ou le ralentir délibérément),
- installer une voix, un ton, un lexique propre à chaque personnage,
- injecter de la tension dramatique (souvent implicite).
« Le dialogue est une illusion. Il donne l’impression d’une conversation naturelle, alors qu’il est entièrement structuré pour servir le récit. »
– Gloria Kempton
2. Le triangle fondamental : voix – conflit – objectif
Chaque réplique obéit à trois impératifs :
a. Voix
Le lecteur doit pouvoir identifier qui parle sans balise de dialogue. Cela suppose un lexique propre, un rythme, un niveau de langage, une posture rhétorique.
« Donnez à chaque personnage une voix qui trahirait son histoire même s’il refusait de parler d’elle. »
– Tom Chiarella
b. Conflit
Un bon dialogue n’est jamais un consensus. Même les dialogues d’amour sont des négociations.
c. Objectif
Chaque personnage veut quelque chose. Il parle pour obtenir, éviter, cacher ou révéler malgré lui.
3. Techniques avancées issues de Gloria Kempton et Tom Chiarella
Les conseils de Gloria Kempton (Write Great Fiction – Dialogue)
- Ménagez les silences : ce qui n’est pas dit en dit long.
- Dynamisez vos tags : ne vous contentez pas de « dit-il » ; variez les verbes ou intégrez-les à l’action.
- Utilisez le contraste de voix : opposer un personnage au lexique soutenu et un autre au langage brut crée immédiatement de la tension.
« Le silence d’un personnage en dit souvent plus que dix lignes de dialogue. »
– Gloria Kempton
Les outils de Tom Chiarella (Writing Dialogue)
- La scène comme combat : imaginez deux boxeurs. Ce n’est pas toujours un KO, parfois juste une esquive.
- Les répliques-fusils : certaines lignes doivent « tirer », viser un point faible, provoquer une réaction.
- Les contre-attaques : un bon dialogue est une suite de frappes et de parades.
« Si vous écrivez une scène de dialogue où chacun répond gentiment à l’autre, jetez-la. Ou tuez un personnage. »
– Tom Chiarella
4. De Platon à Phoebe Waller-Bridge : petite histoire du dialogue
Antiquité
- Platon : les dialogues philosophiques comme méthode d’investigation.
- Tragédie grecque : le dialogue en stichomythies (une ligne chacun) pour créer la tension.
XVIIe – XIXe siècle
- Molière, Marivaux : jeu de pouvoir dans le langage.
- Balzac, Dostoïevski : dialogues introspectifs et sociologiques.
XXe siècle à aujourd’hui
- Audiard : punchlines comme art martial.
- Hemingway : économie, sous-entendu, tension.
- Aaron Sorkin / Tarantino : rythmes effrénés, débats, ruptures.
- Phoebe Waller-Bridge : narration intradiégétique et voix brisée.
5. Glossaire bilingue essentiel
Anglais | Français | Commentaire narratif |
Dialogue | Dialogue | Réplique entre personnages. |
Subtext | Sous-texte | Ce qui est suggéré, pas dit. |
Beat | Unité de tension/dialogue | Un mini-moment de changement ou d’émotion. |
Tagging | Incise/Balise de dialogue | Le « dit-il », mais aussi les actions intégrées. Didascalies |
Voice | Voix | Façon unique de parler d’un personnage. |
Tension | Tension | Dynamique de conflit implicite ou explicite. |
Direction | Direction | Ce que vise le personnage par sa parole. |
Compression | Compression | Réduction à l’essentiel dramatique. |
Rhythm | Rythme | Vitesse, variation, silences intégrés. |
6. L’art de faire parler l’implicite
Un grand dialogue est souvent un échange de masques. Les personnages disent « A » mais pensent « B ». Le lecteur sent « C ». Cela s’appelle le décalage narratif.
« Le vrai dialogue, c’est quand le lecteur comprend ce que les personnages ne disent pas. »
– Tom Chiarella
7. Trois erreurs fatales à éviter
- Le dialogue plat : il n’y a rien en jeu. Tout le monde est d’accord. Le lecteur s’endort.
- Le dialogue surinformé : les personnages disent des choses qu’ils savent déjà, juste pour informer le lecteur.
- Le dialogue naturaliste : euh, enfin, tu vois… genre, bon… c’est comme dans la vraie vie, mais en chiant.
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