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Écrire du polar – Marion Brunet


« C’est le goût pour les histoires qui m’a donné envie d’en faire. »

Marion Brunet publie des romans jeunesse depuis 2013 aux Editions Sarbacane. En 2018, elle écrit un roman noir pour adulte, L’Été circulaire, publié chez Albin Michel, avec lequel elle est lauréate du grand prix de littérature policière 2018.

Les Artisans de la Fiction : Tu as commencé à publier en « jeunesse », et tu viens de sortir un roman pour adultes : pourquoi ce changement ? Est-ce qu’il y avait trop de contraintes dans le roman « jeunesse » ?
Marion Brunet : J’ai commencé à publier des romans « jeunesse » dans la collection Exprim’, chez Sarbacane. Une super Maison. Cette collection est vraiment particulière – il y en a d’autres bien sûr, je ne dis pas que c’est la seule – car elle rassemble non seulement des bouquins de qualité mais qui, en plus, font vraiment la jonction ado-adultes. On n’est pas du tout contraint, en terme de lectorat.
On ne me demande pas d’adapter l’écriture, de ne pas mettre de violence ou de sexe par exemple. S’il doit y en avoir, il y en aura. On ne me demande pas non plus d’éviter un langage cru. Enfin, il n’y a aucune contrainte de ce type.
J’ai donc commencé dans cette collection sans avoir vraiment le sentiment de commencer en « jeunesse ».
Simplement, je me suis rendu compte qu’il y avait tout de même des choses sur lesquelles, de manière inconsciente, je me limitais. Et donc j’ai eu envie d’écrire un roman noir pour adultes.

Y a-t-il des règles en littérature jeunesse ? En terme de construction ?
J’écris aussi en 8-12 ans, donc vraiment « jeunesse », et là c’est encore autre chose : on a d’autres contraintes. Je disais que dans la collection Exprim’, on peut avoir du sexe et de la violence sans problème, mais évidemment, dans les bouquins 8-12 ans, il y a une charte plus carrée, notamment en ce qui concerne la vulgarité et les gros mots. Il y a des choses qu’on ne peut pas dire. On ne va pas écrire des trucs horribles et violents. On est vraiment dans le domaine de l’enfance.
Quand on est du côté de l’adolescent, c’est différent : pas de contraintes particulières.

Je pense que la différence entre la « jeunesse » et en adulte, ne se situe pas forcément sur l’écriture – même si de fait, il y a des conséquences –, mais peut-être plus sur une certaine noirceur de fond. Par exemple, je peux parfaitement écrire des tragédies en littérature ados, sur des choses dures. Dans mes trois livres ados, il y en a deux dans lesquels il y a, au moins, un mort. Ce n’est vraiment pas des histoires légères, feel good ou autres. Pas du tout. Mais, il y a un fond d’espoir. Dans la tragédie, il peut y avoir un peu d’espoir.

Dans le dernier roman que j’ai écrit, L’été circulaire, pour adulte, il y a des choses qui tournent autour du déterminisme par exemple. C’est un peu déprimant quand même.
Alors que quand j’écris en jeunesse, j’ai plutôt envie, même malgré moi, de leur filer la niaque. Même en racontant des histoires tristes, je ne veux pas plomber.

Plutôt une dimension de transformation positive ?
Je pense, oui. Mais pas non plus une sorte de message ou une fin Bisounours, bien sûr.

Tu racontes des histoires ?
Toujours.

Comment t’es-tu formée à la narration ?
Je raconte des histoires. La narration pour moi c’est important. D’abord, j’ai lu énormément. J’étais une très grande lectrice, très jeune. Je lisais beaucoup de romans d’aventures. Les premiers que j’ai adorés c’était Jack London, Alexandre Dumas avec Les trois Mousquetaires, Stevenson, etc. On est dans la narration, dans l’aventure. Pour Dumas, c’était le feuilleton : le page turner avant l’heure.
J’ai toujours aimé ça : qu’on me raconte des histoires. Ensuite, il y a le goût de la langue. Comment on joue avec la langue, comment on la déroule ? On ne raconte pas la même histoire selon la langue qu’on emploie. Mais j’aime, effectivement, raconter des histoires.

Le travail de construction d’une histoire, tu l’as appris en lisant, en relisant, en décortiquant ?
Pas forcément en décortiquant, mais je pense que c’est le goût pour les histoires qui m’a donné envie d’en faire.
Mais attention, comme tout le monde, j’ai écrit des trucs chiants comme la mort, dans des périodes où je ne savais pas trop si j’étais entre la poésie, l’autofiction, etc… Des trucs imbitables, j’en ai fait.

Qu’est-ce qui a été un tournant pour toi ? Parce qu’on peut continuer à faire ça longtemps.
Je crois que c’est des trucs qui sont en lien avec soi-même dans la vie. Il y a un moment où tu as envie d’être plus en phase avec toi, d’être plus en phase avec ce que tu es, et non pas avec ce que tu imagines que tu voudrais être. Et du coup, on le retrouve dans ce que tu écris.
Aussi, le tournant, ça a été un recueil de nouvelles que j’ai écrit. Il n’a jamais été publié mais j’avais eu de bons retours, des retours d’éditeurs que j’aimais bien, et qui m’avaient dit : « On ne fait pas de nouvelles, mais celles-là elles nous ont vraiment plu. »
J’avais renoué avec mes vieilles amours : l’aventure. Dans certaines des nouvelles il y avait des histoires de pirates, ou des pêcheurs, des gars qui prenaient la mer, etc. On était entre l’aventure fiction – les choses que j’avais aimées étant enfant –, et l’univers ouvrier, avec des pêcheurs qui en chiaient pour aller pêcher la morue, etc.

Tu t’étais nourrie de tes expériences ? De tes champs de connaissance pour écrire ces nouvelles ?
C’est tellement vaste la façon dont on est nourrie… Je crois que j’ai beaucoup été nourrie par la bibliothèque familiale. Il y avait énormément de livres à la maison. J’ai eu cette chance.

Je crois que, pour moi, c’est l’aventure (toute la narration à laquelle j’avais accès depuis l’enfance) qui a rencontré des thématiques plus politiques, qui dans ma vie, m’ont secouées et m’ont construites en fait. Un certain militantisme, des choses comme ça.

Quand tu es passé de l’écriture de nouvelles à l’écriture d’un premier roman, tu as été accompagnée par un éditeur ?
Oui, j’ai fait une belle rencontre avec l’éditeur de la collection Exprim’, chez Sarbacane, Tibo Bérard. Il fait un super boulot d’accompagnement avec les auteurs, et en plus c’est un type extrêmement enthousiaste qui booste beaucoup, mais qui en même temps pinaille pour plein de choses dans le texte.
On a beaucoup travaillé ensemble, il m’a appris plein de choses. C’est quelqu’un qui a, comme tout bon éditeur, la capacité d’aller chopper chez chaque auteur, le truc dans lequel il est bon, et de lui dire : « attention, là-dessus t’es un peu plus faible, mais par contre, là-dessus t’es bon, alors vas-y, développe, éclate-toi sur cette chose-là. ». Il m’a donc appris, entre autres, à repérer où étaient mes forces et où étaient mes fragilités.
Je pense aussi que le fait d’écrire en « jeunesse », accompagne le travail de fiction : on attaque tout de suite une histoire. La langue est super importante bien sûr, mais on est là surtout pour raconter une histoire. Que ce soit en « jeunesse » ou en adulte, pour moi, c’est hyper important.

Sur le plan de l’écriture, comment s’est passé la transition entre littérature « jeunesse », ados, adulte, à l’écriture de polars ?
Pour moi c’est une continuité. Je n’ai pas eu l’impression que la différence était si radicale.
J’ai des lecteurs qui ont aimé les bouquins « jeunesse » et qui ont aimé aussi L’été circulaire. Ils l’ont lu comme une continuité.
Et certains lecteurs – peut-être plus observateurs – m’ont dit qu’il y avait un vrai changement dans l’écriture, que j’étais passé à autre chose. Je pense que je me suis plus autorisée le temps de la langue, que je minimisais peut-être (inconsciemment) en « jeunesse ». Je me suis autorisée aussi certaines nuances.
Par exemple, en « jeunesse » je n’ai quasiment que des personnages adolescents ou jeunes adultes alors que dans L’été circulaire, j’ai toute une famille. À 15 ans on est moyennement intéressé par les problématiques d’un couple de 40 ans. Il y a besoin d’un bagage de vie pour être touché par ça.
C’est donc des subtilités que j’ai pu mettre dans L’été circulaire, mais qui peut-être se sentent aussi dans la langue.

Tu avais déjà écrit des récits policiers en jeunesse ? Tu connaissais le fonctionnement de ces intrigues ?
En fait, j’ai écrit un roman noir, ce n’est pas un polar. Il n’y a pas d’enquête, c’est vraiment du noir social. C’est typiquement un bouquin qui aurait pu sortir en littérature blanche. Mais, parce qu’il y a une critique sociale, parce qu’il y a un mort, une certaine ambiance, une certaine tension, on a choisi de le sortir en noir. Ça émerge surtout avec les personnages et les scènes.
Ce qui est clair c’est que ce n’est pas un polar. C’est vrai, il y a un petit mystère qu’on suit, mais ce n’est pas le cœur du roman.
Étonnement, j’ai écrit un roman « jeunesse » assez proche du thriller, alors que je ne connais pas bien le thriller. La Gueule du Loup, sorti chez Exprim’.
Le thriller n’était pas forcément mon truc, mais j’avais envie d’un récit anxiogène. C’est l’histoire de deux adolescentes poursuivies à Madagascar, avec un vieux type très inquiétant. Sans connaitre les codes, j’ai bricolé une sorte de thriller-roman initiatique.
Je ne connais pas bien les codes du polar, et je ne me suis pas vraiment renseignée. Je suis une lectrice de romans noirs, peu de polars. Je n’ai pas un bagage en polar particulièrement étoffé.

Qu’est-ce que tu as appris dans ta manière d’aborder l’écriture entre le 1er et le dernier des romans que tu as écrits ? J’imagine que cela a dû évoluer ?
Oui ça a évolué, mais pas sur la façon de préparer le travail. Je n’ai pas de modus operandi. C’est différent pour chaque roman, et je patauge un peu pour trouver ma façon de faire pour chacun.

Tu fais du travail préparatoire ?
Oui, avant de me mettre à écrire, je prends des notes, j’essaye d’avoir un chemin de fer, en sachant qu’il peut, évidemment, y avoir des choses qui bougent. La fin peut complètement changer par exemple. Ça émerge surtout avec les personnages et les scènes. Je prends pas mal de notes avant de démarrer. Et ça peut m’arriver de tout bouleverser au fur et à mesure.

Tu réécris beaucoup ?
Oui, je réécris pas mal.
Mon éditeur en « jeunesse » travaillait beaucoup sur le texte avec les auteurs et j’ai pris une sorte d’habitude, un réflexe de feignasse. Par exemple, j’écris un passage en ayant conscience que ce n’est pas top mais bon, l’éditeur va regarder alors… Une habitude de feignant.
Et pour L’été circulaire, j’allais bosser avec quelqu’un avec qui je n’avais pas l’habitude de travailler, donc il fallait que ce soit au cordeau. J’ai donc travaillé chaque chapitre de façon beaucoup plus approfondie, à la fois sèche et approfondie. Je voulais vraiment que ce soit nickel.

Tu as plus développé le travail préparatoire sur celui-ci alors ?
Non, mais par contre j’ai mis du temps. Je ne sais même pas comment je l’ai écrit. À un moment j’ai regardé et je me suis dit « tiens, mais j’ai écrit tout ça ?! ». J’avais vraiment l’impression qu’il n’avançait pas et en fait, si, il s’écrivait un peu malgré moi.

Sur la construction des personnages, tu procèdes comment ?Je les laisse apparaître. Je pense qu’il y a des influences de gens que j’ai pu croiser, mais je ne m’en rends pas toujours compte au départ ; ça vient parfois avec le temps.
Pour ce roman-là, j’ai fait un truc que je n’avais jamais fait avant : aller discuter avec quelqu’un. J’ai discuté avec un vieux copain maçon, parce qu’un des personnages principaux, le père de famille, est maçon. J’avais besoin de connaitre quelques détails techniques, je ne voulais pas être complètement à côté de la plaque. On a beaucoup discuté, je lui ai demandé comment ça se passait dans les chantiers, et en parlant avec lui j’ai eu plein de choses qui ont émergé autour de l’ambiance entre les gars dans un chantier, comment ça peut se passer, y compris autour du racisme ordinaire par exemple.
Mais d’habitude je ne fais pas ce genre de truc et j’ai trouvé ça super intéressant.

Quel serait ton conseil à un auteur débutant ?
C’est compliqué… Peut-être d’écrire beaucoup, beaucoup, beaucoup, de ne pas lâcher. De lire (même si je sais qu’il y a des bons auteurs qui ne sont pas forcément lecteurs).
De trouver sa voie. On peut en avoir plusieurs, mais je crois qu’il faut trouver l’endroit où on est juste.

 

 

Marion Brunet, Editions Sarbacane

Marion Brunet, L’été Circulaire, Albin Michel

Interview : Lionel Tran
Remerciements : Marion Brunet, Laura Combet & Quai du Polar

 

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