On a trop longtemps opposé rigueur technique et souffle littéraire. Comme si les bons romans jaillissaient uniquement de l’inspiration divine. Arttu Tuominen, écrivain finlandais et ingénieur environnemental, vient balayer ce préjugé d’un revers de clavier. Pour lui, écrire un roman, c’est de l’architecture, de la mécanique fine, du quotidien rigoureux — sans jamais renier l’émotion, l’humain, ni la complexité morale. Le polar nordique qu’il pratique n’a rien de glacial : c’est un chaudron d’humanité façonné avec une précision d’horloger.
1. Une méthode au cordeau
« Je suis ingénieur de formation. Donc j’écris comme un ingénieur. 500 mots par jour, pas un de plus. Je compte. Je construis de l’intérieur. »
Pas de mysticisme ici, pas de divagations romantiques. Tuominen fonctionne par phases :
- Phase 1 : l’idée. Elle peut surgir d’un fait divers, d’une image lue dans un journal, d’un souvenir. Il la laisse mûrir jusqu’à ce qu’elle « colle » avec une intrigue.
- Phase 2 : le synopsis détaillé. Une étape cruciale. Il planifie avec méthode, assemble les pièces du futur roman, comme un schéma de circuit imprimé.
- Phase 3 : l’écriture rapide du premier jet. Pas de tergiversation : il fonce.
- Phase 4 : le montage. « C’est là que j’ai du plaisir. Le brouillon devient roman. »
C’est une pratique de la réécriture structurée, à l’opposé de l’improvisation désordonnée. Tuominen « sculpte » ses romans comme on affine un prototype. Il ne se contente pas de raconter une histoire, il construit un système narratif fonctionnel, solide, durable.
2. Le polar comme laboratoire moral
À ceux qui caricaturent le polar en le réduisant à l’action ou aux clichés, Tuominen répond par la profondeur.
« Tout commence par les personnages. Y compris les pires. Même les meurtriers ont leur logique, leur angle de vue. »
Cette démarche empathique permet à Tuominen d’entrer dans l’esprit de ses figures les plus troubles, sans jamais les excuser, mais en les comprenant. Il n’écrit pas pour juger, mais pour explorer.
Il refuse l’évidence. Ses romans fonctionnent comme des dispositifs d’analyse : qui a tort ? qui a raison ? où se niche la faille ? L’ingénieur devient ici anthropologue des faiblesses humaines.
3. La narration, une science humaine
Tuominen croit aux histoires. Depuis les cavernes, dit-il, nous racontons. Autour du feu, dans les bois, dans les commissariats.
« Les bonnes histoires sont celles qui nous touchent, qui nous font ressentir. »
Chez lui, pas de fascination pour les twists gratuits ou les effets à la mode. Ce qui compte, c’est l’honnêteté.
« Quand je suis le plus honnête, mes romans sont les meilleurs. Quand je triche, le lecteur le sent. »
Il n’écrit pas pour être original, mais pour être juste. Il ne veut pas impressionner, mais toucher. L’émotion est sa finalité. La structure, son chemin.
4. Face aux IA, l’humain d’abord
Faut-il craindre l’IA ? Il répond avec lucidité :
« L’IA peut écrire une histoire. Mais elle n’a pas de failles. Elle ne pratique pas. Elle ne souffre pas. L’art vient de la faiblesse. »
Là où une machine calcule, Tuominen doute, choisit, renonce, recommence. C’est cela qui rend un roman vivant : l’imperfection, le travail, l’intention.
5. Écrire, c’est résister
Ses conseils aux jeunes écrivains ? Ils sont simples et puissants :
- Soyez honnêtes.
- Écrivez chaque jour, avec méthode.
- Ne négligez jamais l’émotion.
- Écoutez vos personnages.
Tuominen incarne un modèle rare : un artisan de la rigueur qui écrit avec le cœur. Il prouve qu’on peut allier efficacité et densité, structure et liberté, narration et profondeur. Être ingénieur de l’écriture, ce n’est pas brider le feu. C’est lui construire une forge.
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