Vous pensez qu’il faut souffrir et s’imbiber d’absinthe pour écrire un chef-d’œuvre, ou que le génie se trouve nécessairement au fond d’une bouteille de whisky bon marché ? Spoiler : c’est faux. L’alcool ne fait pas de vous un écrivain, il fait de vous un ivrogne. Aujourd’hui, nous dégommons le mythe de l’artiste maudit pour vous apprendre la seule ivresse qui compte vraiment : celle que vous devez procurer à votre lecteur.

C’est un cliché qui a la peau dure. Une image d’Epinal aussi tenace qu’une tache de vin rouge sur une nappe blanche. L’écrivain, le vrai, le génie, serait forcément un être torturé, une clope au bec et un verre de scotch à la main, tapant frénétiquement sur sa machine à écrire dans les vapeurs de l’ivresse.
On se dit : « Regarde Bukowski, regarde Hemingway, regarde Baudelaire ! » On se dit que l’alcool ou la drogue sont des carburants, des tires-bouchons pour l’imaginaire, des passe-droits vers une vérité supérieure.
Arrêtons les frais tout de suite. C’est du romantisme de comptoir.
Vouloir écrire un roman sous influence, c’est comme vouloir opérer à cœur ouvert après trois Gin Tonic. Vous allez peut-être vous sentir puissant, mais le patient (votre histoire) va mourir sur la table.
Démystifions ensemble cette figure de l’artiste maudit pour revenir à la réalité du métier : l’artisanat.
Le Panthéon des « Cramés » : Pourquoi ça nous fascine ?
Il faut rendre à César ce qui est à César. L’histoire littéraire est pavée de foies cirrhosés et de nez poudrés.
- Charles Bukowski a fait de l’ivresse son fonds de commerce, le moteur du « Dirty Realism ».
- Charles Baudelaire, dans Les Paradis Artificiels, a exploré le vin et le haschich pour « pétrir de la boue et en faire de l’or ».
- Henri Michaux a utilisé la mescaline non pas pour le plaisir, mais avec la rigueur d’un scientifique explorant les failles de son propre cerveau (Misérable Miracle).
- Hubert Selby Jr. (Last Exit to Brooklyn) a lutté toute sa vie contre l’héroïne et les analgésiques.
Pourquoi ça nous fascine ? Parce qu’on confond la Légende et la Technique. On aime l’idée que l’art demande un sacrifice. Que pour voir ce que le commun des mortels ne voit pas, il faut payer le prix fort, celui de sa santé mentale et physique. C’est l’archétype du Prométhée moderne. C’est rock’n’roll.
Mais ne vous y trompez pas : ces types-là ont souvent écrit de grandes œuvres malgré leur addiction, et non grâce à elle. Ou alors, ils ont écrit sur des périodes très courtes avant de s’effondrer.
Le Crash-Test : Stephen King et la désillusion
S’il y a bien un auteur qui incarne ce sujet, c’est le patron : Stephen King. Dans les années 80, King est au sommet. Il est aussi alcoolique et cocaïnomane au dernier degré. Il a écrit Cujo (l’histoire du Saint-Bernard enragé), et il a avoué plus tard : « Je ne me souviens même pas de l’avoir écrit. »
Est-ce que l’alcool l’a aidé ? Non. Il l’a failli le tuer. Son écriture devenait boursouflée, sa vie partait en lambeaux.
Regardez son chef-d’œuvre, Shining. De quoi ça parle ? De fantômes dans un hôtel ? Non. Ça parle de Jack Torrance, un écrivain alcoolique qui a peur de faire du mal à sa famille parce qu’il ne maîtrise pas ses pulsions. Jack Torrance, c’est Stephen King qui crie à l’aide. L’hôtel Overlook, c’est la bouteille.

Plus tard, dans Doctor Sleep, King raconte la sobriété de Danny Torrance. King a sauvé sa carrière et son talent en devenant sobre. Il a remplacé l’ivresse chimique par la discipline de l’artisan. Il a compris que l’alcool n’était pas l’encre, mais l’acide qui rongeait le papier.
« L’idée selon laquelle la création artistique et les substances psychotropes sont indissociables est l’un des grands mythes intellectuels populaires de notre époque. Les écrivains toxicomanes ne sont que des toxicomanes, autrement dit, des alcooliques et des drogués comme les autres. Prétendre que la drogue et l’alcool sont nécessaires pour émousser une sensibilité plus fine n’est qu’une excuse égoïste comme on en entend souvent. J’ai entendu des conducteurs de chasse-neige alcooliques faire la même affirmation, à savoir qu’ils boivent pour calmer leurs démons. »
Stephen King
Ne confondez pas l’Auteur et le Personnage
C’est ici que se joue la grande confusion chez les apprentis écrivains.
Un personnage alcoolique, c’est de l’or narratif. Pourquoi ? Parce que c’est de la tension dramatique. Un personnage bourré ou drogué est instable. Il est imprévisible. Il crée du conflit. Il ment. Il fait des promesses qu’il ne peut pas tenir.
- Regardez Tyrion Lannister dans Game of Thrones (Pop Culture) : l’alcool est son bouclier et son arme sociale.
- Regardez Gervaise dans L’Assommoir de Zola (Référence Classique) : l’alcool est la fatalité qui la broie.
Mais attention : pour écrire la descente aux enfers de Gervaise, Émile Zola n’était pas bourré à l’absinthe. Il a monté un dossier, il a fait des plans, il a structuré son récit avec la précision d’un ingénieur. Pour écrire les délires psychédéliques de Trainspotting, Irvine Welsh a dû être lucide sur la structure de ses scènes.
L’auteur doit être le chirurgien, pas le patient. Pour décrire le chaos, il faut être ordonné. Pour décrire le flou de l’ivresse, il faut une écriture d’une netteté absolue.

L’objectif : Enivrer le lecteur, pas l’auteur
Écrire, c’est manipuler la biochimie du cerveau de votre lecteur. Votre but, c’est que LUI soit drogué. Vous voulez qu’il ressente le shoot de dopamine quand le héros réussit. L’adrénaline quand le tueur approche. L’ocytocine quand les amants se retrouvent.
C’est vous le barman. C’est vous qui mixez le cocktail. Si le barman est ivre mort derrière le comptoir, il va verser trop d’amers, oublier le sucre, et renverser le verre sur le client. Le cocktail sera imbuvable.
L’écriture est un artisanat de précision. C’est de la mécanique de haute volée. C’est régler des engrenages. C’est doser des épices.
- Vous devez gérer l’Ironie Dramatique.
- Vous devez contrôler le Rythme.
- Vous devez structurer vos Actes.
Tout cela demande une clarté mentale totale. L’alcool, physiologiquement, détruit le cortex préfrontal : la zone du cerveau responsable de la planification et du jugement. Exactement les deux outils dont vous avez besoin pour construire une intrigue.

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