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Ian Manook : « Quand je fais une description, j’essaie qu’il y ait au moins deux éléments de sensations. »


Ian Manook durant Quais du Polar 2019

À l’âge de 18 ans, Patrick Manoukian parcourt les États-Unis et le Canada, pendant 2 ans, sur 40 000 km en autostop. Il effectue des études de droit et de sciences politiques à la Sorbonne, puis de journalisme à l’Institut français de presse. Il repart ensuite en voyage en Islande, au Belize, et au Brésil. De retour en France, il collabore en tant que journaliste à des rubriques touristiques de quotidiens et d’hebdomadaires.
En 1987, il crée Manook, une agence d’édition spécialisée dans la communication autour du voyage. De 2003 à 2011, il réalise le scénario de plusieurs bandes dessinées sous le pseudonyme de Manook. En 2013, il signe du pseudonyme de Ian Manook un roman policier intitulé Yeruldelgger qui remporte le Prix SNCF du polar 2014 et qui sera suivi de Les temps sauvages, La mort nomade, Mato Grosso…

Il répond aux questions des Artisans de la Fiction concernant sa façon de travailler sur un roman.

 

Comment travaillez-vous sur un roman ?
Ian Manook :
Je travaille d’une façon particulière,  sans plan. Généralement, je commence par une image, que j’ai en tête depuis très longtemps. Par exemple, la première image de Yeruldelgger, la petite pédale qui dépasse de la steppe, c’est quelque chose que j’ai en tête depuis une vingtaine d’années. Je l’ai imaginé dépassant d’une banquise, d’un désert de sable… Donc, je pars d’une image. Et après, je n’ai aucune idée de ce que va devenir l’histoire.  Je la construis au fur et à mesure qu’apparaissent les personnages.

Partez-vous d’une idée, d’un personnage, d’un lieu ?
D’un bon voyage. Tous mes bouquins sont basés sur un voyage. Je ne me documente pratiquement jamais avant. À postériori, je vais vérifier deux trois informations, mais mes bouquins sont basés sur mes souvenirs de voyage. J’ai besoin d’avoir fait un bon voyage.  Ce sont forcément des pays que je connais, où j’ai voyagé et surtout où j’ai aimé voyager. Il y a des pays où j’ai voyagé et sur lesquels je n’écrirai probablement pas de bouquin, parce que le voyage était bien, mais je n’ai pas accroché. Par exemple, si je n’accroche pas avec la musique du pays, il y a peu de chance que je me sente bien.

Comment construisez-vous vos personnages ?
Mes personnages sont construits au fur et à mesure qu’ils apparaissent. Par exemple, Gantulga, qui est un incontournable de la trilogie mongole, n’existe pas trois-quatre lignes avant qu’il arrive. J’ai Oyun qui est dans une voiture, en train de surveiller un immeuble, et comme j’aime bien dire des choses sur le pays que je connais, ça aurait pu être la fin de chapitre, mais comme elle surveille un immeuble en face, et qu’il y a une cage d’escalier, je me dis que je vais toucher deux mots sur le fait que des mômes, des gosses, occupent les cages d’escalier pour résister à la froidure de l’hiver. Et donc, je la fais descendre de la voiture pour aller discuter avec les bandes de gosses, pour pouvoir parler de ça deux secondes. Après je suis embêté parce que je n’ai pas envie que ma petite cage d’escalier soir finie. Et, je décide qu’Oyun va trouver un moyen pour faire partir les gamins. Je lui donne deux-trois répliques que je trouve plus cinglantes que les autres et d’un seul coup il prend corps.
Donc, elle donne un billet à un des gamins pour que la bande s’en aille. Elle doit s’adresser à un gamin plus particulier, qui soit un peu plus chef de bande que les autres. Y’en a un qui apparaît : il n’a pas de nom, je lui donne deux-trois répliques que je trouve plus cinglantes que les autres et d’un seul coup il prend corps. Et après je lui donne un nom, qui est tout simplement le nom du petit filleul que ma jeune fille parraine en Mongolie depuis 15 ans, et ça devient Gantulga, personnage qui n’avait aucune raison d’exister.

Vous vous inspirez de gens que vous avez croisés ?
Des gens que j’ai croisés qui m’inspirent, des gens qui n’ont rien à voir avec le pays où va être l’histoire qui m‘inspirent aussi, et dont je garde une silhouette, ou un nom, il n’y pas de règles précises. Je ne suis pas comme ces auteurs qui construisent une fiche de personnage à l’avance.  Je n’aime pas être tenu par des contraintes. Curieusement, je me donne beaucoup de contraintes d’écriture, mais à moi.

C’est-à-dire ?
Par exemple, d’écrire au présent. C’est une contrainte.  Souvent, par rapport à la trilogie américaine que j’ai commencé sur le tueur Roy Braverman, je me suis donné un  type d’écriture par bouquin. L’écriture à la hard boiled, une écriture à la sudiste, etc. J’aime bien me donner des contraintes comme ça, mais au niveau des personnages, j’aime bien les laisser vivre. Quand je commence avec Yeruldelgger, je ne sais pas qu’il a une petite fille qui est morte, je ne sais pas qu’il a une femme qui est devenue folle, je ne sais pas qu’il a un beau père qui est un truand… Juste ce qui m’intéresse, c’est ce personnage dans la steppe qui découvre ce petit tricycle avec un petit cadavre en dessous. Le reste ne m’intéresse pas encore, ça vient au fur et à mesure.

Comment organisez-vous le travail d’écriture ?
Encore une fois c’est le domaine dans lequel je ne me donne pas de contraintes. C’est-à-dire que je n’ai pas d’horaire précis, pas de lieu précis, je travaille –on voit beaucoup de photos sur Facebook- dans les transports. En venant à Lyon, j’ai travaillé pendant deux heures, j’ai écrit deux pages. J’aime bien écrire au milieu du bruit. Quand les salons du livre sont peu fréquentés, j’ouvre mon ordinateur et entre deux signatures j’écris. Je ne peux pas écrire au calme, chez moi, tranquille, parce le moment de distraction est fatal. Je jette un coup d’œil sur les disques, j’en mets un, je jette un coup d’œil sur la bibliothèque, je prends un bouquin…
Peut-être que le bruit et l’animation me servent d’isolants.

Est-ce que vous réécrivez beaucoup ?

Non. Très peu.  Le 1er jet est bon à 90 %. Après je réécris pour travailler des choses très claires, des tics d’écriture. Je sais que j’ai des tics d’écriture. Dans un premier jet, je construis toujours mes phrases de façon compliquée. La façon la plus fluide de faire une phrase en français, c’est : . sujet/verbe/complément du lieu direct, les autres compléments derrière. Moi, j’ai toujours tendance à mettre les compléments (que l’on appelait circonstanciels à mon époque) de les remettre en avant. À la lecture, je corrige.

Vous rétablissez les inversions durant la réécriture afin de donner plus de fluidité au style…
J’ai toujours la manie ou le tic de mettre des « petits » partout. Donc mon héros tombe dans un « petit » fossé. Un fossé c’est forcément petit, sinon c’est un ravin. Donc je corrige tout ça. Je fais ce genre de réécriture, mais j’ai très peu de réécriture de structure. Très très peu.

Editions italiennes de la trilogie mongole de Ian Manook

Parce que vous avez une idée du livre assez claire en vous lançant dans l’écriture ?
Non, parce que je n’ai pas d’idée. Comme je n’ai pas de plan et je n’ai pas d’idée, l’écriture est forcément fluide, puisque c’est elle qui guide l’histoire. Si j’avais un plan très clair, un organigramme dans mon histoire, ou si j’avais des fiches de personnages, mon histoire pourrait partir en vrille par rapport à ça.  Mais comme il n’y a pas de référence, elle part en vrille comme est veut, c’est moi qui m’arrange pour ramener la vrille dans l’histoire.

Que cherchez-vous au moment de l’écriture : une justesse ? Une tonalité ?

J’essaie que ce soit bien écrit. J’essaie de travailler l’écriture vraiment, le choix des mots, des verbes. J’essaie toujours de glisser des images. Quand je fais une description j’essaie qu’il y ait au moins deux éléments de sensations, c’est-à-dire la couleur et le bruit, ou le bruit et le toucher, pas seulement juste un seul adjectif. Et je fais bien attention à répartir des descriptions du pays ou des traditions, de façon assez régulière dans un bouquin.

Comment avez-vous appris à écrire des romans ?
Ça je ne l’ai pas appris du tout, mais d’un autre côté, là j’ai 70 ans, j’écris depuis l’âge de 15 ans. Je n’ai rien publié jusqu’à 65 ans. J’ai toujours écrit tous les jours, quel que soient les circonstances, j’ai écrit, ne serait-ce que 10 lignes. Je peux écrire entre 10 lignes et 10 pages, ça dépend. Donc j’ai toujours eu dans la main ce genre d’écriture, mais les circonstances faisaient que je n’avais rien de terminé.

Est-ce que vous vous faites relire ?
Non.
Pendant l’écriture, maintenant de temps en temps, Françoise, ma femme me relit, mais dans les premiers, j’attendais d’avoir terminé pour me faire lire. Je fais relire en fait le 1er jet direct, celui que je n’ai pas encore corrigé, à trois-quatre-personne de mon entourage, et généralement à 90 % je ne tiens pas compte de leurs remarques.
Mais ça m’aide. Quelques fois quand on me dit que je devrais mettre ça à la place de ça, je ne change pas, mais ça me fait dire que dans ça il y a quelque chose qui ne fonctionne pas bien, donc je retravaille cette partie-là.

Depuis vos premiers textes, écrits à 15 ans, sur quels points pensez-vous avoir le plus progressé du point de vue de l’écriture ?
Je ne sais pas si  j’ai progressé, parce que quand je retombe sur des trucs écrits à 15 ans je trouve que c’est bien foutu, ah, ah, ah. Mais c’est fait pareil : on sent que c’est une narration sans plan, qui avance à l’émotion. C’est l’avantage d’écrire sans plan : on avance à l’émotion, on tombe littéralement amoureux d’un personnage, on s’y attache, donc on le développe, alors que ce n’était pas prévu. Et ensuite il y a cet avantage de progresser à l’écriture.  D’un seul coup, on fait une phrase qui nous semble belle, qui nous semble construite et elle en appelle une autre. Donc on fait une deuxième phrase, qui n’a pas forcément à voir avec l’histoire, mais qui va apporter un ciment d’écriture à l’histoire. Et j’écrivais, peut-être de façon plus maladroite, mais j’écrivais comme ça avant.

Est-ce que le laps de temps entre vos débuts d’écriture et votre premier roman publié a été bénéfique dans le sens où il vous a permis d’accumuler du matériau ?
Le temps où je n’ai pas terminé des bouquins, je l’ai utilisé à terminer des voyages, et ça c’est capital. Mais le temps n’a pas changé grand-chose parce que comme je suis extrêmement bordélique j’ai paumé beaucoup de manuscrits. Par exemple, je peux retrouver un manuscrit que j’ai écrit il y a 20 ans, je le lis et je me dis : je devrai changer ça, ça et ça. Et puis 2-3 mois plus tard, je tombe sur une version corrigée de ce manuscrit et que j’ai corrigé, on va dire, il y a 18 ans, et les corrections sont exactement les mêmes. C’est-à-dire que la distance a enrichi la matière que j’ai en moi pour écrire, mais elle a assez peu changé ma façon d’écrire.

Quel serait votre conseil à un(e) apprentie écrivain ?

Deux conseils évidents : toujours écrire, tous les jours, faut pas avoir peur, prendre le temps, une silhouette passe, elle est marrante, essayez de la capturer en une phrase. On a une demie heure devant soit on essaie de faire un petit paragraphe de l’atmosphère, sur ce qu’il y a autour, etc.… Deuxième conseil : accepter la critique. Ce que m’a apporté le fait de devenir un écrivain « professionnel » c’est de travailler avec une éditrice chez Albin Michel, qui est une personne qui se met en face de vous, qui lit le bouquin à fond, et qui vous fait des remarques. Aucune des remarques n’est une obligation, mais si on n’est pas ouvert à cette critique-là, on va se refermer sur une écriture pleine de tics, une écriture qui est trop sûre de soi, qui va devenir prétentieuse.  Et donc il faut vraiment accueillir la critique quand la critique est justifiée et bien faite. Mais moi, je n’ai aucun problème à écouter les critiques sur mes bouquins.

 

Interview Lionel Tran
Remerciements à Quais du Polar et à la librairie Vivement Dimanche

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