On les appelle « romancières », « écrivaines », parfois même « femmes d’écriture », comme si l’ajout du genre suffisait à minorer le mot. Pendant ce temps, elles remplissent les bibliothèques, peuplent les ateliers d’écriture, nourrissent les librairies et bousculent la langue. Ce ne sont pas les femmes qui écrivent différemment. Ce sont les histoires qui changent quand ce sont elles qui les écrivent.
1. Elles lisent. Elles écrivent. Elles recommencent.
Statistique fondamentale : plus de 80 % des lecteurs réguliers sont des lectrices. Et dans toutes les formations d’écriture, les femmes représentent 90 % des élèves. Non pas parce qu’elles seraient plus « littéraires » — idée reçue facile — mais parce qu’elles savent ce que l’écriture exige : travail invisible, réécriture constante, écoute du réel et construction lente de la voix.
Celles qui écrivent savent que l’écriture est une ascèse. Un artisanat. Un territoire qu’on conquiert à force d’exigence et d’attention.
2. « J’ai décidé d’en faire un roman. » – Michaëla Watteaux
Scénariste aguerrie, réalisatrice et autrice du roman Shell Shock, Michaëla Watteaux résume sa démarche en une phrase d’orfèvre : partir d’un fait oublié (la grève des téléphonistes en 1925), mener l’enquête, inventer les voix qui n’ont pas été écoutées et rendre justice par le récit.
« On a besoin d’histoires qui donnent du sens. Pas pour embellir. Pour comprendre. »
Elle rejoint ainsi une lignée d’écrivaines qui interrogent les silences de l’histoire, à commencer par George Sand, romancière de combat, d’amour et de contradiction, qui choisit un pseudonyme pour publier et un château pour écrire librement. Ou Jane Austen, ironiste hors pair, dont les dialogues tranchants ont fait plus pour la satire sociale que bien des traités.
3. Bora Chung, Mariana Enriquez : écrire à vif
Les coups de cœur récents des Artisans de la Fiction ? Bora Chung et Mariana Enriquez, deux autrices qui n’ont pas peur d’arracher la peau du monde.
La première, avec Lapin Maudit, hybridant le conte, la science-fiction, le politique et l’organique. La seconde, avec Ce que nous avons perdu dans le feu, qui ausculte l’Argentine post-dictature à travers des récits de corps torturés, d’adolescentes disparues, de rage rentrée.
« Écrire, c’est traverser l’horreur pour dire qu’on est toujours là. » – Mariana Enriquez
Ces femmes n’écrivent pas pour plaire. Elles écrivent pour voir. Pour que l’on voie. Pour reprendre le droit de raconter, même ce qui fait mal, même ce qui dérange.
4. Loin des mythes, proches du métier
Quand on écoute Paula Hawkins (La Fille du train), Dörte Hansen (Zur See) ou Geetanjali Shree (Tomb of Sand) dans les interviews réalisées par Les Artisans de la Fiction, un fil commun revient : la lenteur, la rigueur, la réécriture.
« Je ne peux pas écrire une phrase tant que la précédente ne me semble pas juste. » – Dörte Hansen
« J’écris lentement, en laissant les personnages me guider. » – Geetanjali Shree
« La voix d’un personnage, c’est ce qui vous réveille la nuit. » – Paula Hawkins
Ces autrices ne parlent pas d’inspiration. Elles parlent de travail. D’exigence. De justesse.
5. Écrire, ce n’est pas un privilège : c’est un acte
Aujourd’hui encore, les femmes restent moins publiées, moins primées, moins traduites que les hommes. Et pourtant, elles sont plus nombreuses à écrire, plus nombreuses à lire, plus nombreuses à corriger, à retravailler, à inventer.
Parce qu’elles savent que ce n’est pas un privilège. C’est une conquête. Chaque livre est un espace repris à l’oubli. Chaque scène, un geste de résistance.
En résumé
Écrire n’a jamais été une question de genre. Mais ce qu’on écrit change, selon qui écrit. Et tant que les récits n’auront pas été racontés par toutes celles qu’on a tues, censurées ou ignorées, les histoires ne seront pas finies. Heureusement, elles ont commencé. Et elles sont là. Elles s’appellent Michaëla, Mariana, Bora, Jane, George, Paula, Dörte. Et tant d’autres.
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