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Progresser dans son écriture – Les Intergalactiques


Comment progresser dans son écriture ? Doit-on écrire un nombre minimum de pages par jour ? Doit on ne surtout pas écouter les remarques déstabilisantes sur ses textes ? Doit-on quitter la sécurité de son emploi salarié pour se jeter dans l’écriture et en faire son métier ? 5 romanciers de science-fiction se confient.

La question “peut-on progresser dans son écriture ?” masque souvent la grande question “peut-on apprendre à écrire ?”. Bonne nouvelle : la réponse est “oui”. Un GRAND oui massif. Attesté par le nombre d’auteurs étrangers ayant suivi des formations d’écriture. Un oui, que souligne la passions des français pour les ateliers d’écriture. D’un côté des formations reposant sur l’apprentissage de l’artisanat du romancier, de l’autre, le droit d’écrire pour se faire du bien et trouver sa “voix”.

Se former permet de comprendre ce qu’est un roman

Se former permet de comprendre ce qu’est la narration littéraire, de comprendre les principes de construction et d’apprendre à mettre en oeuvre les outils spécifiques à la narration écrite. Apprendre à aller au-delà du 1er jet, à préciser sa pensée par écrit afin qu’elle devienne intelligible à autrui.

Le mythe romantique de l’écrivain échevelé, chemise à jabot ouverte sur un torse anémié, mains de rapaces tachées d’encre agrippant une plume d’oie fatiguée, à eu le mérite de placer la figure de l’écrivain sur un piédestal. L’apprenti écrivain se fera mal à la nuque à admirer cette statue, à en imiter le regard traqué, la posture tassée. Et surtout il s’enfermera dans un refus d’apprendre, d’écouter les conseils, et au final de progresser.

À des années lumières du mythe romantique, le romancier de science-fiction britannique Paul J. McAuley, nous raconte comment, modestement,  il analyse lui-même ce qui fonctionne et ce qui ne fonctionne pas dans son manuscrit, avant de faire appel à son éditeur :

Accepter le regard des autres pour progresser en écriture

Paul J. McAuley : Quand on écrit on est forcément seul, donc il peut être utile d’avoir l’opinion d’autrui. Surtout au début. L’écrivain débutant doit acquérir un regard critique sur son propre travail. C’est crucial. Travailler avec d’autres peut apporter cela. On rédige le premier jet, on obtient des retours critiques, puis on travaille sur le deuxième jet et ainsi de suite. En général après le troisième jet mon éditeur prend le relai, mais avant ça je suis mon propre critique. Les questions que je me pose sont multiples. Pourquoi cette scène fonctionne ? Que manque-t-il dans telle autre ? En quoi ma structure fonctionne ou pas ? Que dois-je retirer ou ajouter ? La division de mes paragraphes convient-elle ? On peut apprendre ces choses seul, mais cela facilite la tâche de les apprendre en groupe. Pour s’assurer qu’on ne se trompe pas de direction.

Il ne s’agit pas bien sûr de se relire en se demandant “suis-je un génie ou un raté ?”, mais d’être capable d’analyser techniquement ce qui ne marche pas dans son récit. Mais comment parvenir à comprendre comment fonctionne une histoire écrite ? Paul J. McAuley explique comment il a appris à progresser dans son écriture en travaillant avec d’autres apprentis écrivains :

Paul J. McAuley : Quand j’avais 18, 19 ans, j’étais membre de la British Science Fiction Association, qui organisait des ateliers d’écriture par correspondance. Tous les membres s’envoyaient leurs travaux. C’était avant internet. On recevait les manuscrits par voie postale. On les lisait, on les critiquait, on les annotait, puis on les envoyait au participant suivant. J’ai fait ça pendant quelques temps. Au final on se retrouve toujours seul face à l’écriture. Il est évident que certaines choses peuvent être enseignées, en terme de narration. Il y a des façons de raconter des histoires qui s’apprennent.

Admettre que premier jet n’est pas sacré

Oubliez le mythe de l’écrivain frappé soudain par la divine manifestation de son génie et qui  JAMAIS ne soumettra ses écrits aux yeux d’êtres trop inférieurs pour le comprendre. Un écrivain progresse en apprenant que son premier jet n’est pas sacré, et que, comme l’a dit Hemingway, l’écriture c’est avant tout de la réécriture. Et donc qu’un romancier à parfois besoin de se faire relire par des lecteurs.

Mathieu Rivero aux Intergalactiques

Mathieu Rivero, écrivain français de science-fiction, explique comment ses bêta-lecteurs l’aident à progresser dans son écriture :

Mathieu Rivero : J’ai des béta-lecteurs – merci à eux, ils sont géniaux ! Je trouve que les béta-lecteurs c’est super bien. Il m’arrive souvent de faire lire mon synopsis avant la rédaction par exemple. Ça arrive qu’on le relise en conjonction avec l’éditeur. L’éditeur ne sait pas que les béta-lecteurs sont passés avant – ou qu’ils passeront après – mais ce qui est important c’est qu’ils vont donner des retours, ils vont donner des ressentis. Ça permet de savoir si j’ai tapé juste.
Ensuite, quand c’est rédigé, ils peuvent rentrer dans le texte et me dire ce qui sonne juste, faux, ce qui est incohérent. Parfois on ne voit pas, on est tellement absorbé dans le texte pendant sa création qu’on oublie.

Apprendre à lire comme un écrivain

Se faire relire par des lecteurs privés avant de soumettre son manuscrit à l’éditeur, ok, encore faut-il que ces lecteurs aient des notions de narration littéraire. Et pas seulement qu’ils soient de gros lecteurs. Lire c’est fondamental, mais il est encore plus incontournable d’avoir appris à lire comme un écrivain, afin de faire des retours concrets, et pas juste “j’aime” ou “j’aime pas”.

Qu’en est il de l’éditeur ? L’écrivain doit-il à tout prix se préserver du regard intrusif du patron uniquement intéressé par l’argent ? Au cinéma, le rôle de l’éditeur est souvent celui de l’antagoniste. Le méchant. Dans le film “Genius” (2016), d’après la relation qu’entretenait l’écrivain Thomas Wolf avec son éditeur, on voit pour une fois l’éditeur …accomplir un travail d’éditeur. C’est à dire à rendre le manuscrit lisible par des lecteurs.

Peter F. Hamilton, l’auteur anglais science-fiction raconte comment ce sont ses éditeurs qui lui ont appris à écrire :

Faire confiance aux éditeurs

Peter F. Hamilton : David Pringle éditait la revue Interzone et David Garnett éditait la revue New Worlds. Je n’arrêtais pas de leur envoyer des histoires et ces histoires revenaient accompagnées de commentaires du genre « non, ceci ne marche pas, essaie plutôt de faire ça, ou cela ». Ils m’ont beaucoup aidé. Toute histoire à besoin d’être réécrite et accompagnée par des éditeurs. Mais pour un écrivain débutant, c’est essentiel. Ils m’ont énormément aidé.

Lire beaucoup

De nombreux aspirants écrivains sont surtout focalisés sur l’écrivain qu’ils rêvent de devenir. Ce n’est pas comme ça qu’on progresse dans son écriture, mais, comme Peter F. Hamilton nous le confie, en lisant et en relisant pour comprendre comment fonctionne un roman :

Peter F. Hamilton : Cela m’est venu en lisant énormément quand j’étais plus jeune. En étudiant comment les différents aspects étaient assemblés, en essayant. J’ai écrit beaucoup de nouvelles, avant même d’essayer d’écrire un roman. Je pense que j’ai écrit des nouvelles pendant 3 ou 4 ans et seulement là je me suis dis que j’aimerai tenter d’écrire un roman. Et ça a marché comme ça. Donc, ça n’a pas été instantané, je ne me suis pas lancé à partir de rien, il y a eu beaucoup d’écriture entre temps.

Développer son golden eye

Certes, une histoire, une bonne histoire ce n’est pas uniquement de la technique, c’est aussi des idées originales. Le romancier de science-fiction britannique Alastair Reynolds, nous explique comment il s’efforce de progresser dans son écriture pour créer des histoires qui parlent en profondeur à ses lecteurs.

Alastair Reynolds : Je pense que c’est un processus personnel et continu de découverte. Je n’ai pas encore le “golden eye”, alors j’essaie de comprendre ce qu’est vraiment une histoire. Vous pouvez réussir à composer une très bonne intrigue, mais ce n’est pas la même chose qu’arriver à écrire un récit qui plaise au lecteur. Ça, c’est une autre étape, et je m’exercer encore à passer de l’un à l’autre.

Alastair Reynolds : Parfois j’écris un texte qui connecte les lecteurs émotionnellement. Et j’ai de très bons retours sur la construction narrative de ce texte. Et une autre fois, je vais écrire un texte où j’utiliserai les mêmes effets et il apparaît clairement que ça ne provoque pas la même chose chez les lecteurs. Je n’ai pas encore la réponse à ce problème, c’est pour ça que je continue à étudier. Et ça ne s’arrêtera jamais.

Vous savez, je ne pense pas que tous les personnages doivent être sympathiques, mais je crois que le lecteur doit s’intéresser aux motivations de chaque protagoniste. Le lecteur peut détester un personnage et avoir envie qu’il soit puni, mais le lecteur doit comprendre les convictions de ce personnage. C’est un des points où j’essaye de m’améliorer aujourd’hui.

Essayer d’être juste

Mais peut-on progresser dans son écriture ? Nous avons vu que les regards extérieurs techniques et compétents donnent du recul au romancier lorsqu’il en manque. C’est le rôle des bêta lecteurs et de l’éditeur. A force d’erreurs, comme c’est le cas de tout pratique artisanale, le romancier parviendra à  en éviter certaines, comme le confie Alastair Reynolds.

Alastair Reynolds : Après avoir écrit une quinzaine de livres, et reçu beaucoup de retours, j’ai acquis un certain sens de ce qui marche et ne marche pas. Ça me guide dans mes choix d’écriture. J’ai aujourd’hui une idée des choses à éviter et de celles qui payent.

Quand on raconte une histoire, que ce soit oralement (nous le faisons tous quotidiennement), ou par écrit, nous affinons notre manière de raconter l’histoire chaque fois que nous la racontons à nouveau, ajoutant des détails, de la tension, présentant mieux les personnages. Car, même si on s’appuie sur des outils et sur l’expérience des autres écrivains on continuera à apprendre comment fonctionne une bonne histoire et à améliorer son écriture tout au long de sa vie.

Écrire un roman est un processus complexe

Alastair Reynolds : Écrire un roman est un processus complexe. On essaye d’être juste sur une énorme quantité de points en même temps. L’histoire doit avoir une logique narrative, une bonne intrigue qui doit aussi être originale pour que le lecteur ne devine pas ce qui va arriver. Le lecteur doit aussi croire aux personnages. Il faut que les personnages ressemblent à des personnes réelles, qu’ils soient bien distincts les uns des autres. Puis on travaille sur les thèmes que l’on développe dans l’histoire afin qu’ils soient profonds et donnent à réfléchir aux lecteurs. On doit aussi se préoccuper du langage et du point de vue…

À chaque fois que je pense maîtriser un élément, je comprends qu’il y en a un autre à dompter. J’ai l’impression que devenir un bon écrivain c’est comme gravir une montagne sans fin.

Soigner ses personnages

Pour le romancier de science-fiction anglais Christopher Priest (auteur entre autre de “Le prestige”, adapté au cinéma par Christopher Nolan), le plus important est de ne jamais perdre de vue, le personnage et ses interactions. C’est en apprenant à maîtriser la construction des personnages que l’on améliore son écriture.

Christopher Priest : Les personnages sont les éléments les plus importants lorsqu’on écrit, et ils sont ce qu’il y a de plus difficile à créer. Ce que j’ai l’habitude de faire, c’est de donner aux personnages un passé, une histoire personnelle, plutôt qu’une description.
Si un écrivain masculin doit décrire un personnage féminin, c’est technique et complexe, il risque de simplement dire qu’elle est belle et qu’elle a de longs cheveux, mais ça ne donne aucune information !

Ce que l’auteur doit faire, c’est savoir comment un personnage réagira dans une situation donnée. Si le personnage est témoin d’un accident de voiture dans la rue, il va s’écrier “mais qu’est-ce que je dois faire ?” C’est cette réponse que je veux donner au personnage en lui créant un background. Ainsi les choses sont cohérentes pour moi, et j’espère qu’elles le sont pour le lecteur. Ce n’est pas de la science, c’est de l’art, et c’est difficile.

Soigner son intrigue

Christopher Priest ajoute que c’est ce qui advient au personnage qui va construire l’intrigue. Et, dans une bonne histoire, le personnage doit faire face à des difficultés :

Christopher Priest:  Ce qu’il faut écrire, c’est ce qui est nécessaire pour le personnage dans la situation où il se trouve. L’intrigue, elle, est invisible, bien que toujours présente. Tout ce qui arrive dans le récit doit être directement ou indirectement lié à l’intrigue (et l’indirect est tout aussi important que le direct). Si vous racontez l’histoire d’un homme qui prend un pistolet et tire sur quelqu’un, ça n’intéressera personne. Mais si vous racontez que l’homme prend un pistolet qui ne fonctionne pas, ou qui n’est pas chargé, ou encore que l’autre personne s’enfuie, alors vous racontez une autre histoire, plus intéressante, et vous avez une intrigue.

Aller plus loin pour progresser dans l’écriture

Si vous souhaitez vous former aux bases de la dramaturgie (construction de personnages, d’univers narratif, gestion de l’interaction entre personnages et univers narratif), Les Artisans de la Fiction proposent le stage “Préparer et construire un roman” (5 jours / 30 h) .

Vous aimeriez en savoir plus sur la construction d’un univers narratif quand on écrit de la littérature de l’imaginaire ? L’auteur de Fantasy Valérie Simon explique comment elle construit ses univers narratifs (vidéo – 13 mn)

Olivier Paquet, écrivain française de science-fiction, répond aux questions des Artisans de la Fiction : Olivier Paquet – Techniques de la Science Fiction (vidéo – 13 mn)

Cet article vous a intéressé ? Lisez la version complète des interviews de Peter F. Hamilton, Alastair Reynolds, Christopher Priest  et Paul J. McAuley.

Nous remercions toute l’équipe des Intergalactiques ainsi qu’Audrey Burki qui ont rendu ces interviews possibles.  Nous remercions tout particulièrement Loïc Moran, pour son aide précieuse pour avoir préparé, conduit et traduit ces interviews. Merci également à Alex Simon et à Bérénice de Pol pour les traductions complémentaires !

Pour vos commandes de livres, pensez aux libraires indépendants.
À la librairie Vivement Dimanche, Gabriel est un passionné de littératures de l’imaginaires. Il vous conseillera avec plaisir dans vos choix de lectures !

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