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La création du personnage principal de roman


Sur quoi repose la création d’un bon personnage de roman ? Et d’ailleurs c’est quoi un bon personnage ? Ces questions peuvent paraitre simplistes à côté d’autres aspects techniques comme sur la structure du roman, les dialogues ou encore les choix de point de vue. On a parfois l’impression que la création du personnage se fait de manière instinctive alors que c’est un moment fondamental de l’écriture.

Le personnage d’un roman n’est pas seulement la porte d’entrée de votre histoire. C’est le personnage qui incarne chacune des actions, des situations que vous mettez en scène et qui les rend vivantes, intéressantes. C’est aussi le personnage qui porte les émotions que vous voulez faire vivre à votre lecteur. Alors si votre personnage n’est pas crédible ou qu’il ne génère ni intérêt ni empathie, vous pouvez être sûrs que vos lecteurs fermeront votre livre aussi vite qu’ils l’ont ouverts ! Les auteurs des AIR 2019 vous donnent plusieurs pistes issues de leur expériences personnelles pour permettre la création d’un personnage de roman crédible, intéressant et original.

Construire son personnage très précisément… jusqu’où ?

La création d’un personnage de roman crédible revient à réfléchir à toutes ses facettes : il faut définir très clairement l’identité et la spécificité du personnage. Nom, sexe, âge au moment des faits, origines ethniques, sociales, économiques, façon de s’habiller, de bouger… Pour que ce soit lisible dans la tête du lecteur, il faut que ce soit clair dans la tête de l’auteur !
Dans ce but, certains auteurs remplissent des questionnaires de Proust très précis afin de mieux cerner leurs personnages et aux Artisans de la Fiction, nous encourageons nos élèves à créer de véritable “fiches personnage” très fouillées en amont de leur écriture.Mais est-il nécessaire de remonter aussi loin et aussi précisément que possible dans son passé ? Jusqu’où faut-il aller ? La question divise l’autrice américaine Cynthia Bond et l’auteur et professeur de creative writing israélien Eskhol Nevo.

Cynthia Bond : (À propos de l’écriture de son roman Ruby) Je suis remontée très loin dans la construction de l’histoire personnelle des personnages. Et pas seulement des personnages principaux, de tous les personnages. Certains des faits de leurs passés sont issus des faits réels. Comme par exemple l’histoire de ma tante, la sœur de ma mère, qui a été tuée par le KKK parce qu’elle aimait un homme blanc.

« Je ne prépare pas l’histoire de mes personnages »

Eshkol Nevo : Je ne m’assois pas à ma table de travail en ayant planifié telle trajectoire de vie pour tel personnage, ou en pensant « il faut que j’écrive l’histoire de chacun de mes personnages avant de commencer ».  Les personnages se développent au cours de l’écriture et parfois je sens le besoin d’un flash-back et à ce moment-là, je dois y penser.

Je pense que c’est artificiel de le planifier à l’avance. Parfois ça prend du temps, c’est comme avec une personne, parfois vous avez besoin de temps pour comprendre quel a été son passé, son histoire familiale. Je ne prépare pas l’histoire de mes personnages.

S’il ne semble donc pas indispensable de connaitre le moindre détail du passé de ses personnages principaux, il existe quelques techniques très utiles qui permettent aux auteurs de donner de la profondeur à leurs personnages.

S’immerger dans le personnage

La création d’un personnage de roman se rapproche du travail de comédien. Il s’agit d’inventer un corps, un nom, un visage, mais aussi toute une manière de bouger, de se déplacer et de se comporter … en un mot “d’incarner”.

Pour l’américaine Dana Spiotta, autrice et professeur de creative writing (Prix de Rome 2016), tout travail de fiction commence par une immersion dans le personnage.

Dana Spiotta : J’ai d’abord une vague idée de personnage. Ensuite, j’imagine ce que ça doit être de vivre en étant cette personne. C’est un vrai exercice d’empathie, il s’agit de s’immerger dans la façon dont une personne autre que soit expérimente une situation.

A propos de Manuel de survie à l’usage des jeunes filles, son roman multi-récompensé, l’auteur anglais Mick Kitson va encore plus loin. Son travail préparatoire a consisté en devenir le personnage lui-même.

Mick Kitson : En réalité je pense que le travail d’écrivain se rapproche du travail de l’acteur. On s’immerge dans un personnage. J’y ai consacré une très grande partie de mon travail préparatoire. Du coup, quand je me suis mis à écrire, les choses sont sorties très naturellement. C’est seulement le personnage qui parle, moi je ne suis plus là… c’est comme ça que j’ai écrit le roman.

Il ne s’agit donc pas seulement d’inventer un personnage mais surtout de faire un vrai travail d’immersion dans sa tête : comprendre sa logique interne, sa façon précise et personnelle de percevoir les évènements qu’il traverse ou dont il témoigne.

La création d’un personnage de roman complexe

Pour Cynthia Bond, la création d’un personnage de roman crédible passe par la réflexion sur son “arc”, c’est à dire sa trajectoire (physique, émotionnelle, psychologique) du début à la fin du roman.

Pour elle, tout commence par définir les deux extrémités de cet arc.

Cynthia Bond : Une très bonne technique pour créer un arc de personnage complexe c’est de partir de la fin : je décide là où je veux emmener mon personnage, ce que je veux qu’il soit devenu à la fin de l’histoire. Puis je reviens au début du roman et je place le personnage dans une situation aussi éloignée que possible de cet état final dans lequel j’ai envie qu’il se trouve.

Une fois qu’on a défini les deux extrémités de l’arc, il est temps de se demander quelles sont les étapes qui font passer le personnage de son état initial à son état final :

Cynthia Bond : Il s’agit de déterminer des moments clés dans la trajectoire de chacun de ces personnages. Ces moments clés sont des moments de révélations pour le personnage. Ce sont les étapes de son changement, de sa transformation. Avant chaque révélation, il faut que les personnages souffrent. Il ne faut vraiment pas les épargner : il faut les mettre dans une situation où ils souffrent, et puis rajouter un évènement encore pire ! Car pour un personnage comme un pour un être humain réel, il est impossible de changer si on n’a pas une très bonne raison de le faire, si on n’y est pas obligé.

« Tout commence avec les personnages et ce qu’ils désirent »

Pour Dana Spiotta, les personnages sont les points de départ de ses romans. Ce sont eux qui définissent la trajectoire de l’intrigue. Créer un bon personnage de roman c’est donc se demander ce que ce personnage désire.

Dana Spiotta : Tout commence avec les personnages et ce qu’ils désirent. Je les mets en scène, je les fais parler entre eux afin que je comprenne mieux qui ils sont. Et c’est à partir de ça que je commence à percevoir la forme que le livre va prendre (…) Créer mon personnage c’est aussi déterminer ce que mon personnage veut : sur le long terme et sur le court terme. Il peut, dans l’immédiat, vouloir une guitare, parce qu’il veut, sur le long terme, capter l’attention de son père. Quand tu sais ce qu’ils veulent et ce qui les empêchent d’avoir ce qu’ils veulent, c’est très très utile. Et pas seulement les personnages principaux. Tous les personnages. Et avoir ça en tête ça peut permettre de régler beaucoup de problèmes de scènes qui ne fonctionnent pas.

Il est donc très important, au moment de la création des personnages, de ne pas se contenter d’une couche superficielle. Il s’agit de ne pas donner l’impression que ce sont des marionnettes, mais bien des êtres singuliers et surtout… crédibles !

Faîtes parler votre personnage

La crédibilité d’un personnage se crée donc par la complexité de sa psychologie, la cohérence de ses actes avec sa personnalité et la richesse de son histoire passée…
Cela prend donc du temps d’apprendre à connaitre ses personnages et de les apprivoiser !
Une très bonne technique – surtout si on est en panne d’idées – c’est de les faire parler.

Mick Kitson : À force de penser au personnage principal — et en toute humilité –  je me suis mis à entendre sa voix, la façon dont il s’exprimait. Je pouvais l’entendre parler.

Pour Dana Spiotta, faire parler le personnage est une partie intégrante et nécessaire de son travail de construction du personnage.

Dana Spiotta : Les dialogues sont très importants. J’ai besoin d’entendre parler mes personnages.(…) Ecrire un dialogue vous fait découvrir qui sont les personnages, leurs voix, leurs façons de parler. Il m’arrive de prendre mon bain et de commencer à parler, à voix haute, comme si j’étais le personnage en question. J’invente des conversations à voix haute entre mes personnages : ça m’aide énormément d’entendre comment ils parlent, comment ils utilisent le langage.

Les moments de dialogue sont aussi les moments parfaits pour donner une troisième dimension au personnage dans les yeux du lecteur. Le dialogue est un instrument puissant pour la crédibilité et la richesse des personnages… c’est un outil essentiel, car un dialogue mal écrit sort tout de suite le lecteur du texte. Mais quand il est bien écrit, nous avons l’impression que le personnage est avec nous, que nous pouvons le voir, l’entendre, le percevoir… et donc le connaitre et le suivre dans ses aventures.

… Et testez des choses inattendues

Un bon auteur est donc capable de créer des personnages crédibles, auxquels le lecteur croit complètement et auxquels il s’attache. Mais ce qui intéresse également un auteur de fiction, s’il veut capter l’attention du lecteur et le surprendre, c’est de créer des personnages originaux.

Pour Eskhol Nevo, qui a longtemps étudié la psychologie à l’université, les personnages originaux n’ont pas besoin d’être surprenants… pour être originaux ils doivent avant tout être spécifiques !

Eshkol Nevo : En psychologie, vous avez tendance à aller vers la généralisation : vous essayez d’identifier un phénomène, quelque chose qui soit commun, qui puisse être diagnostiqué. Est-il bipolaire ? Schizophrène Dépressif ?Je pense que quand j’écris un personnage, j’essaie de faire l’inverse, j’essaie de trouver ce qu’il y a de spécifique en lui, en elle, ce qui fait qu’il n’est pas comme tout le monde. Des traits physiques particuliers, une manière de s’exprimer, une manière de penser particulière : qu’est-ce qui le rend, ou la rend différent des autres personnages.

« Je me suis lassé d’écrire à propos de ma vie »

Pour Jonathan Coe, l’auteur du Testament à l’anglaise, un écrivain crée des personnages originaux au moment où il décide d’arrêter de se prendre lui-même comme personnage de ses romans :

Jonathan Coe : Après deux ou trois ans, j’ai commencé à me lasser d’écrire toujours à propos de ma vie – je ne racontais que ça, à l’époque (…) mes histoires étaient très autobiographiques. J’ai alors pris une décision très simple, mais extrêmement radicale pour moi, à l’époque : « Ok, je vais écrire une histoire, dont le personnage principal sera une femme et l’histoire sera racontée du point de vue d’une femme ». Je n’avais jamais fait ça auparavant. Il fallait évidemment essayer. Peut-être que si j’avais eu un tutorat, des professeurs d’écriture, ils auraient pu me suggérer cela plus tôt, mais j’ai fait cette découverte moi-même. Donc j’ai écrit un roman intitulé « the accidental woman/La femme de hasard ». Ce n’était pas un très bon livre, quels que soient les critères de jugement, mais il était bien meilleur que ce que j’avais écrit auparavant.

Pour aller plus loin

La caractérisation (= la création de personnages) est une partie essentielle du travail de l’auteur. Elle définit la structure de l’intrigue, l’incarne et la rend vivante.

Le travail préparatoire des personnages est donc une étape à ne pas négliger, même si la précision et l’enrichissement du personnage peut se dévoiler au fur et à mesure de la rédaction du premier jet.

Si vous avez du mal à créer des personnages crédibles et complexes, rejoignez notre stage L’arc transformationnel du personnage !

Vous pouvez également vous former aux structure archétypales de la narration en rejoignant notre stage  Raconter avec les sept intrigues fondamentales : vous découvrirez sept trajectoires spécifiques de personnages (les arcs transformationnels) et leurs puissances émotionnelles sur le lecteur.

assises internationales du roman virtuelles 2020

Si vous souhaitez aller plus loin, nous vous recommandons la lecture ou le visionnage des interviews intégrales de Eskhol Nevo, Mick Kitson, Cynthia Bond, Dana Spiotta, Matthew Neill Null et Jonathan Coe

Cet article est publié dans le cadre de l’édition virtuelle des Assises Internationales du Roman 2020

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