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Le parcours éditorial de « La Dramaturgie » : l’autoédition


Les soupçons de complaisance qui entachent  l’autoédition (« s’il ou elle s’est auto-publié, c’est parce que personne ne voulaient de son livre »), masquent parfois des parcours éditoriaux singuliers. Lorsqu’il publie en 1994 La Dramaturgie, Yves Lavandier fait appel à un éditeur inconnu : Le clown et l’enfant. Il s’agit en fait de la petite maison d’édition qu’il vient de créer pour permettre à la publication de La Dramaturgie en autoédition.

Devenant progressivement une référence pour les auteurs de théâtre, les scénaristes de cinéma, de télévision et de bande dessinée, La Dramaturgie va connaître 7 éditions. De la 1ère édition émergeront deux autres livres d’Yves Lavandier consacrés à l’art du récit : Construire un récit et Évaluer un scénario. Yves Lavandier complète le texte de La Dramaturgie à chacune de ces éditions, jusqu’à parvenir à une version définitive. Puis il transmet le flambeau aux Impressions Nouvelles en 2019.

– Pourquoi avoir choisi l’autoédition pour La Dramaturgie ?

Parce qu’en 1993, je n’ai pas trouvé d’éditeur satisfaisant pour le publier. Certains m’ont dit non, d’autres ne m’ont même pas répondu. J’en ai déduit qu’ils avaient été mal élevés par leurs parents. Quant à l’éditeur le plus intéressé par le livre, un gros éditeur, il voulait réduire le nombre de pages, changer certains éléments, etc. Par exemple, il voulait mettre le mot « scénario » dans le titre, arguant que ce serait plus vendeur. Il avait sûrement raison. Le mot « dramaturgie » était inusité à l’époque. Aujourd’hui, on l’entend partout, jusque dans la bouche des journalistes sportifs, mais, en 1993, le mot avait une consonance très confidentiel, universitaire. Le problème, c’est que le mot « dramaturgie » était adéquat. Bref, j’ai dit stop à l’éditeur et j’ai fondé ma société d’édition.

-Pouvez-vous nous parler du travail qu’a représenté l’autoédition de La Dramaturgie ?

Je n’ai pas l’impression que cela m’ait mangé beaucoup de temps. Je n’aurais jamais pu le faire sans l’existence du traitement de texte et de la PAO.

-Qu’est ce qui a été le plus difficile dans ce travail de petit éditeur ?

Le travail d’attaché de presse. Quasiment aucun journaliste n’a voulu s’intéresser à un livre édité par une société inconnue, avec en plus un nom bizarre (Le Clown & l’Enfant). Je me suis rendu compte à quel point tant de journalistes manquent de curiosité et sont inféodés aux attachés de presse, sans même s’en rendre compte. Bon, fort heureusement, La dramaturgie a très vite bénéficié d’un excellent bouche-à-oreille. Mais le grand public doit savoir qu’il existe des œuvres dont la presse ne rend pas compte et qui, pourtant, méritent attention.

Je ne parle pas de mes livres car je manque de recul. Mais je pense à d’autres œuvres comme Le principe de Lucifer d’Howard Bloom ou les livres de Paul Watzlawick. En musique, je pense en vrac à Aulis Sallinen, Sona Jobarteh, Les Mouettes, Vendredi-sur-Mer, Fazil Say (compositeur, pas pianiste) et tant d’autres. Les amateurs ont intérêt à fouiner, à faire leur propre travail de découverte.-Qu’est ce qui a été le plus valorisant dans l’autoédition de la Dramaturgie ?

La liberté de faire ce que je voulais. Et la reconnaissance. Au final : plus de 30 000 exemplaires sans publicité ni presse, et plusieurs versions étrangères. Je n’ai pas l’impression d’avoir perdu mon temps.

-Quels sont vos lecteurs ? 

En fait, la toute première version de La dramaturgie faisait 8 pages. C’était à l’automne 1987. Je venais de lancer mon premier atelier d’écriture et j’avais mis au propre mes notes de cours. Donc, les tout premiers lecteurs étaient mes étudiants, toutes sortes de gens qui voulaient apprendre à écrire des histoires. Au fur et à mesure de mes sorties culturelles et de mes pratiques pédagogique et professionnelle, ces 8 pages se sont épaissies. Quand j’ai dépassé 100 pages, je me suis dit que je tenais un livre. 

– A quel besoin répondent les livres comme La Dramaturgie en France ?

A la fin des années 80, on parlait déjà d’une crise du scénario. Je me suis dit que ces notes de cours enrichies pourraient rendre service. A l’époque, il existait très peu de livres sur le sujet. Le premier livre de Syd Field, Screenplay, qui datait de 1979, n’avait pas encore été traduit. Idem pour Linda Seger (Making a good script great, 1987). Cela dit, le livre de Syd Field avait été plagié par Tudor Eliad en 1980 (Comment écrire et vendre son scénario). Il y avait aussi le livre de Jean-Paul Torok (Le scénario, 1986). Très intéressant mais plus historique que technique. Bref, nous avions une crise du scénario mais pas grand-chose pour nous aider à la résoudre. Cela explique peut-être en partie l’intérêt que La dramaturgie a suscité dès sa sortie en avril 1994.

Mais ce que j’ai découvert plus tard, beaucoup plus tard, c’est que j’avais écrit La dramaturgie et encore plus Construire un récit et Évaluer un scénario pour moi, en tant qu’auteur. J’avais besoin de mettre ma pensée noir sur blanc et de me constituer une méthode d’écriture. Tous les auteurs font cela plus ou moins consciemment. Vous lisez Aristote, Boileau, McKee, Truby, Roth et vous vous faites votre petite tambouille personnelle. Vous prenez ce qui vous parle et vous laissez le reste. Puis vous faites des allers et retours, vous écrivez des histoires, vous revenez aux manuels, vous réécrivez. Et, petit à petit, vous vous constituez une méthode. C’est exactement ce que j’ai fait avec Construire un récit. Même si le livre semble aider beaucoup d’auteurs, c’est d’abord à moi que cette méthodologie rend service. 

-La spécificité de votre travail de petit éditeur a été de proposer quelques ouvrages de référence  et de défendre ce fond depuis 1994, pourquoi ?

Honnêtement, je ne suis pas éditeur. Je n’ai jamais édité personne d’autre que moi-même. Un jour, j’ai offert de rééditer Savoir rédiger et présenter son scénario de Philippe Perret et Robin Barataud, au moment où le livre a perdu son premier éditeur. Finalement, cela ne s’est pas fait. Mais on restait dans le sujet, c’était un geste militant vis-à-vis d’un excellent ouvrage. Cela dit, je ne suis pas sûr que j’aurais défendu le livre correctement, comme un éditeur professionnel peut le faire. Ma politique a été simple et chanceuse : bénéficier d’un bon bouche-à-oreille et soutenir mes livres pendant 25 ans en évitant la rupture de stock.

-La dramaturgie est aujourd’hui rééditée par un éditeur belge. Pourquoi ?

Oui, les Impressions Nouvelles. Plusieurs motivations sont à l’origine de ce changement d’éditeur. Vers 2017, 2018, j’ai reçu plusieurs offres pour aller enseigner le scénario dans une université américaine. Je me suis dit que cela allait être difficile de m’occuper de mes livres depuis les USA. Finalement, c’est tombé à l’eau. Enfin, à court terme. Et puis, à la même époque, j’ai eu le sentiment d’avoir fait le tour. Les dernières rééditions de La dramaturgie contenaient de moins en moins de modifications. De même, j’ai eu l’impression que Construire un récit et Évaluer un scénario étaient suffisamment aboutis pour ne pas nécessiter d’incessantes révisions. Même si je ne peux m’empêcher de continuer à nourrir ma réflexion sur ces passionnants sujets. Enfin, j’ai ressenti le besoin d’avoir du temps pour mener à terme plusieurs projets personnels et professionnels.

-Quel(s) manuel(s)de scénario déconseilleriez-vous ?

Je ne suis pas fan de la structure en trois actes proposée par Syd Field (et reprise par quasiment tout le monde !). Je la trouve illogique et piégeuse. Mais plutôt que déconseiller des manuels de scénario, j’ai envie de conseiller à chacun d’en lire plusieurs et de se faire sa petite tambouille personnelle. Même chez Syd Field, il y a des éléments de réflexion pertinents. Au-delà des traités de narratologie, certains textes sont riches d’enseignement : les entretiens Hitchcock-Truffaut, Psychanalyse des contes de fée de Bruno Bettelheim, Tragedy and comedy de Walter Kerr, le chapitre de Freud sur Œdipe et Hamlet dans L’Interprétation des rêves, The theatre essays d’Arthur Miller, The death of tragedy de George Steiner, les préfaces de George Bernard Shaw, Et tout le reste est folie de Billy Wilder, Making movies de Sidney Lumet, On directing film de David Mamet, Adventures in the screen trade de William Goldman…

Plus les textes sur la psyché humaine (notre matière première) : Fanita English, Eric Berne, Paul Watzlawick, Alexander Lowen, Howard Bloom, Serge Tisseron, Claude Steiner, Alice Miller, etc. Et puis, en digestif, allez, La poétique d’Aristote !
Les auteurs apprennent leur métier tous les jours jusqu’à la fin. J’ai bientôt 62 ans et je viens de comprendre quelque chose sur la différence entre climax, cliffhanger et climax médian en travaillant sur un scénario de bande dessinée qui va être découpé en deux tomes. Que du plaisir !

Aller plus loin

Nous remercions Yves Lavandier pour avoir partagé avec nous son expérience de l’autoédition de La Dramaturgie. Si cela n’est pas déjà fait nous vous invitons à lire les deux autres parties de cet entretien : Nous abordons avec Yves Lavandier la question des modèles narratifs et de l’importance de la dramaturgie.
Vous pouvez également en apprendre davantage sur l’édition et l’autoédition dans nos interviews d’éditeurs: Actu SFCritic, ou encore les éditions du Rouergue.

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