Parce qu’elles nous parlent. Parce qu’elles nous tiennent. Parce qu’elles font exactement ce que la grande littérature faisait autrefois : elles racontent, sans honte et avec éclat. On a méprisé les séries comme on a méprisé les feuilletons, les romans populaires, les contes, les tragédies grecques. Trop accessibles, trop émotionnelles, trop humaines. Et si cette addiction était justement le signe que les séries sont devenues notre dernier rituel collectif ? Et si les histoires, pas l’expérimentation, était ce qui nous relie encore ?
Le mépris culturel, une vieille histoire
« Chaque fois qu’un nouveau média populaire émerge, il est accueilli avec méfiance. »
— Northrop Frye, Anatomie de la critique
Ce n’est pas nouveau. Dans la Grèce antique, la tragédie était perçue comme un genre noble, tandis que l’épopée populaire était reléguée à un rang inférieur. Frye rappelle que cette hiérarchisation est constante dans l’histoire de la culture. Ce que les élites considèrent comme du divertissement vulgaire est souvent ce qui touche le plus le peuple. Ce fut vrai pour l’opéra, pour le roman, pour le feuilleton et aujourd’hui pour la série.
Et si on prenait les séries au sérieux ?
La série, héritière de l’épopée et du feuilleton
Comme L’Iliade, Breaking Bad raconte une lente chute morale.
Comme Les Misérables, The Wire articule la chronique sociale et le roman choral.
Comme les feuilletons du XIXᵉ si dévorés par leurs lecteurs (de Dumas à Sue), les séries s’imposent par leur structure à suspens : fin d’épisode = frustration = rewatch compulsif.
La série est un art du temps. Elle cultive l’attachement, la transformation lente, la complexité morale. Elle fait vivre les personnages dans la durée. Rares sont les romans contemporain qui peuvent le faire.
L’animal narratif que nous sommes
« Nous sommes l’espèce qui se raconte des histoires. C’est ainsi que nous donnons sens à nos vies. »
— Jonathan Gottschall, The Storytelling Animal
Les séries ne sont pas qu’un loisir. Elles répondent à un besoin biologique, cognitif et social : le besoin d’ordre, d’émotion, d’identification, de transformation.
Elles créent un monde avec des règles, des alliances, des trahisons. Elles offrent un territoire moral, un espace d’expérimentation à distance. Ce que nous ressentons devant The Leftovers, Fleabag ou Succession n’est pas juste de l’addiction. C’est une expérience de reconnaissance.
Le retour du feuilleton comme lieu de valeurs partagées
Au XIXᵉ, le feuilleton créait du lien social. On lisait Balzac ou Zola dans les journaux. On commentait les suites dans les salons et les ateliers. Aujourd’hui, les séries font la même chose.
Elles rassemblent. Elles génèrent du débat moral, de la mémoire collective. On ne regarde pas une série seul : on la partage, on la binge, on la poste, on la rejoue.
Comme les grands récits collectifs d’autrefois, les séries répondent à cette question ancestrale :
Qui sommes-nous, et que voulons-nous devenir ?
Faire société par la fiction
« Les histoires, ce ne sont pas des mensonges. Ce sont des simulateurs d’expérience. »
— Gottschall, The Storytelling Animal
Face à l’éclatement des repères, au chaos informationnel, aux tensions sociales, les fictions sérielles remplissent une fonction vitale : elles structurent notre monde mental.
Ce n’est pas pour rien que les grands débats de société passent aujourd’hui par les séries : racisme (When They See Us), classe (The Bear), genre (Euphoria), identité (Pose), pouvoir (House of Cards), croyance (The Leftovers).
Elles ne répondent pas, elles posent les bonnes questions.
Non, ce n’est pas une addiction. C’est un besoin humain.
Si nous sommes accros aux séries, c’est parce que nous avons besoin d’histoires. De liens. De personnages. D’une trame.
La série n’est pas une défaite du roman. C’est sa renaissance populaire. Elle est l’héritage du conte, du mythe, de l’épopée, du feuilleton. Elle est notre manière de faire société.
Et tant pis pour ceux qui veulent encore hiérarchiser les genres. Ce sont les mêmes qui ne voyaient dans Dickens qu’un raconteur d’histoires à la petite semaine.
Nous, on sait que ce sont les histoires qui sauvent.
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