« Les théories narratives tuent-elles la spontanéité ? » Pour Laure Pécher et Robert McKee, c’est tout le contraire : une structure solide, associée à un débat moral, décuple la force émotionnelle et l’impact du récit. John Truby l’affirme lui aussi : chaque étape scénaristique peut servir un propos éthique.
Structurer son roman demande de l’habileté, tant pour bâtir une intrigue solide que pour instaurer un débat moral. Selon Laure Pécher, autrice de Premier roman, mode d’emploi, cette quête nécessite de penser la voix narrative, les personnages et la progression dramatique. John Truby, dans L’Anatomie du Scénario, propose une grille de 22 articulations pour organiser le récit. Et Robert McKee, dans Story, met l’accent sur les arcs émotionnels, le conflit et la satisfaction du lecteur. Dès lors, comment combiner ces approches pour faire d’une simple idée un roman puissant et cohérent ?
« Le pire des problèmes, c’est la voix narrative. Souvent, l’auteur se substitue au narrateur, et tout sonne faux. »
— Laure Pécher
John Truby et les 22 étapes : un cadre pour l’argument moral
L’idée maîtresse de Truby est de développer une structure en 22 points (beats) où l’on suit le protagoniste de sa faiblesse initiale jusqu’à sa transformation finale. Chaque étape renforce la tension morale : les choix des personnages s’inscrivent dans un conflit de valeurs, donnant au lecteur la sensation que la résolution n’est jamais purement mécanique, mais éthique.
Pourquoi 22 étapes ?
Elles permettent de segmenter la montée en puissance de l’intrigue. Truby estime en effet que le récit doit être assez “dense” pour véhiculer une transformation psychologique et morale. Or, 22 points fournissent assez de latitude pour développer des conflits secondaires, des personnages antagonistes variés et plusieurs moments de bascule qui maintiennent l’intérêt.
Laure Pécher et la voix narrative : la clé de la cohérence
Laure Pécher insiste : la solidité d’un plan est inutile si le narrateur vacille. De nombreux manuscrits échouent parce qu’ils ne savent pas « qui raconte l’histoire ». Dans Premier roman, mode d’emploi, elle mentionne l’importance de choisir la bonne perspective (première personne, troisième, narrateur omniscient, etc.) et de s’y tenir.
« En trois pages, on identifie si la voix narrative est claire ou si l’auteur se perd en digressions. »
En clair, sans un narrateur légitime, les 22 étapes de Truby ne suffiront pas à créer l’effet d’immersion ou de tension morale recherché.
Robert McKee et la dynamiques du Story
Robert McKee, auteur de Story, propose une approche complémentaire : il se concentre sur la structure d’ensemble des histoires, qu’il voit comme un enchaînement de “turning points” (points de bascule) marqués par le conflit. Là où Truby propose un canevas détaillé, McKee insiste sur les concepts de “Scene” et de “Sequence” : chaque scène doit comporter un conflit clair, et chaque séquence doit amplifier l’intensité.
« Les histoires sont des métaphores de la vie… Le lecteur veut ressentir l’émotion d’un changement profond. »
— Robert McKee (Story)
McKee voit le récit comme un mécanisme émotionnel, où chaque pivot (ou turning point) doit être significatif. Ainsi, marié à l’approche de Truby, McKee apporte une dimension plus sensorielle et émotionnelle : non seulement l’histoire suit des étapes conceptuelles (Truby), mais chaque étape se concrétise par un climax mini ou majeur, assurant la montée en puissance.
Débat moral : Jonction entre Truby et McKee
Si Truby met l’accent sur l’argument moral implicite dans le plan, McKee, lui, rappelle que le lecteur attend un catharsis ou une résolution émotionnelle satisfaisante. Le débat moral doit donc s’incarner dans des scènes pivot (turning points) :
- Le protagoniste se trouve confronté à une question de valeur (liberté vs. sécurité, amour vs. devoir, etc.).
- L’univers narratif — cher à Laure Pécher — souligne les conséquences de ce choix.
- Le point culminant (souvent l’étape 21 ou 22 chez Truby) confronte héros et antagoniste dans une ultime épreuve, où le choix moral se révèle.
Personnages : arcs transformationnels et arcs émotionnels
Laure Pécher souligne que la plupart des manuscrits ratés ignorent le développement des personnages secondaires. Or, McKee et Truby convergent :
- Truby : ces personnages secondaires servent à questionner différents aspects du débat moral.
- McKee : chaque personnage doit éprouver des conflits et en retirer un changement émotionnel (même minime), accroissant la richesse du récit.
Conflit, transformation et univers narratif : la “trinité”
Pour que le plan du roman soit plus qu’une suite d’événements, Laure Pécher rappelle la nécessité de :
- Conflit : oppositions morales, tension interne et externe.
- Transformation : un arc marquant pour le protagoniste (et si possible pour l’antagoniste).
- Univers narratif : le décor doit participer au conflit (par l’ambiance, les lois, la culture) et non se borner à être un décor neutre.
Bâtir son plan : du “micro” au “macro”
- Micro : définir les conflits de chaque scène (McKee) et l’étape narrative qu’elle représente (Truby).
- Macro : veiller à ce que l’ensemble forme un “débat moral” cohérent. Le lecteur perçoit la progression du personnage et la montée des enjeux.
Comme le souligne Laure Pécher, « il ne suffit pas d’avoir un début fulgurant » : il faut une structure prête à porter la tension jusqu’à la fin.
Chacun de ces théoriciens (Truby, McKee) invite à étudier des romans et des films pour saisir l’ingénierie du récit. Laure Pécher recommande de relire plusieurs fois un même roman pour en disséquer la mécanique. McKee, de son côté, propose la même approche pour les films, considérant que “les grands films distillent des principes universels” de narration qui s’appliquent également au roman.
Conclusion : technique et liberté créative
Si la structure en 22 points de Truby fournit une charpente pour le débat moral et la trajectoire du protagoniste, l’approche de McKee dans Story rappelle que le roman est avant tout une expérience émotionnelle pour le lecteur, nourrie par des scènes pivot et des arcs émotionnels. Laure Pécher, quant à elle, insiste sur la nécessité d’une voix narrative juste et de personnages secondaires consistants. Loin de restreindre la liberté, ces techniques visent à la canaliser, donnant à l’auteur une maîtrise accrue pour plonger le lecteur au cœur d’un conflit riche, aux dimensions à la fois intellectuelles et affectives.
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