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Jane Smiley – Comment travaillez-vous vos romans ?


« Vous devez comprendre la structure d’une intrigue. »

 


Jane Smiley a publié son premier roman, Barn Blind, en 1980. En 1992 son best-seller A Thousand Acres /L’exploitation, basée sur le Roi Lear de Shakespeare, a reçu le prix Pulitzer fiction. Il a été adapté au cinéma sous le titre « Secrets » (avec Michelle Pfeiffer, Jessica Lange et Jennifer Jason Leigh) en 1997. Sa trilogie Nos premiers jours /Nos révolutions /Notre Âge d’or
vient d’être publiée en France.

Son guide Thirteen Ways of Looking at the Novel (2005) est une réflexion sur l’histoire et la nature du roman, dans la tradition de l’ouvrage de E. M. Forster intitulé Aspects of the Novel, qui s’étend de Le dit du Genji de Murasaki Shikibu, au Japon, au XIe siècle, à la littérature féminine américaine du XXIe siècle.
Elle répond aux questions des Artisans de la Fiction et revient sur le travail d’écriture de roman. 

Comment travaillez-vous sur vos romans ?

Jane Smiley : En général, mes idées de départ sont assez précises : j’ai toujours l’un ou l’autre étage de la pyramide* qui me vient en premier.
Pour ma trilogie « The Last Hundred Years » c’était la complexité. Ou plutôt la complexité associée à l’univers narratif et aux personnages. Les personnages vivent dans un endroit duquel ils vont déménager. L’intrigue est donc liée à l’histoire des lieux qu’ils laissent et qu’ils rejoignent.

*ndlr: Pour Jane Smiley le roman est similaire à une pyramide, le langage en est la base et permet de passer la « porte » d’entrée de la pyramide. L’intrigue et les personnages constituent selon elle le second palier, l’univers narratif le troisième et enfin, la complexité, est au sommet. 

Pour « A Thousand Acres /L’exploitation » (Pulitzer 1992), je savais que je voulais réécrire « Le Roi Lear ». Donc bien sûr l’intrigue est venue en premier puisque je la reprenais de Shakespeare. Ensuite ce furent les personnages. Je voulais que Goneril et Régane (les filles aînées du roi Lear) soient les personnages principaux, plutôt que Lear lui-même.

Pour « Horse heaven/Le paradis des chevaux », c’est l’univers narratif qui m’est apparu en premier. Je voulais écrire sur un champ de courses ou sur l’univers des champs de courses. Et dans cet univers il y a des personnages naturels, des chevaux, des cavaliers.
Les différents livres viennent de points de départ différents et me donnent la direction dans laquelle me diriger.

A Thousand Acres, prix Pulitzer, Jane Smiley

« A thousand acres » Pulitzer 1992), et l’adaptation cinématographique réalisée en 1997.

Quel travail préparatoire faîtes-vous (sur la création des personnages, recherches etc.) avant de commencer l’écriture ?

Je fais un vrai travail de préparatoire. Quand je réalise qu’un sujet m’intéresse, je lis sur le sujet, je me rends sur les lieux — ce qui est toujours surprenant —… et il y a un moment où, instinctivement, je sens que j’en sais suffisamment pour me mettre à écrire. Je sais que lors de l’écriture, je devrais forcément continuer mon travail de recherche
Plus j’écris plus je prends conscience de ce que je ne sais pas sur le sujet. Par exemple pour « Horse Heaven », j’ai visité des champs de courses, j’ai lu des livres sur le sujet et j’ai interviewé des gens qui avaient l’habitude des courses de chevaux.
Une nuit, j’étais dans la cuisine, je me faisais griller un toast et j’ai eu l’idée de la première phrase du roman. Vous pouvez être sûr que j’étais dans ma chambre à écrire bien avant que le toast soit prêt ! C’est l’exemple le plus bizarre de réaction instinctive, ce moment où vous savez que c’est le moment d’y aller, de rédiger.

Si vous en savez trop sur un sujet, ça va créer le chaos dans votre tête. Mais il faut quand même en savoir suffisamment pour avoir de la matière pour commencer. Donc il faut commencer avec peu de matériaux et continuer les recherches au fur et à mesure de l’écriture.

Qu’est-ce qui est nécessaire pour que vous commenciez votre travail ? Connaitre la fin votre roman ?
Non. J’ai besoin de ressentir de la curiosité sur le thème sur lequel je vais écrire.

Quelle est la part d’éléments autobiographiques dans vos romans ?

Ça dépend des romans. Quand j’écrivais ma trilogie, j’incluais aux personnages fictifs des caractéristiques de personnes que je connaissais dans la vraie vie. Mais les personnages eux-mêmes n’étaient pas inspirés de personnes que je côtoyais.
Pour « Horse heaven » c’était un peu différent : aux États Unis, si vous arrivez sur un champ de courses et que vous dites que vous êtes auteur, on va vous étouffer sous les histoires et les anecdotes. Du coup, c’était très rigolo. J’ai beaucoup appris. Chaque histoire qu’on me racontait avait l’air incroyable et pourtant elle était vraie. Celle que j’ai créée moi-même, l’intrigue du livre, est bien plus plausible que toutes les histoires réelles que j’ai entendues !

Quelle est l’importance de la structure dans un roman  ?

La question de la structure rejoint celle de l’intrigue : si vous lisez un polar, vous êtes tenu par le suspens, de twist en twist, jusqu’au climax puis le dénouement.

L’intrigue c’est la logique du roman. Si votre roman n’a aucune logique, votre lecteur ne pourra pas vous suivre.
Vous devez comprendre la structure d’une intrigue. Chaque roman a une intrigue. L’intrigue c’est la logique du roman. Si votre roman n’a aucune logique, votre lecteur ne pourra pas vous suivre. L’auteur doit comprendre comment fonctionne une intrigue en général et sa propre intrigue en particulier et la meilleure façon de le faire c’est de lire des romans et d’analyser les intrigues.

Je ne sais pas si vous avez lu Tristram Shandy de Laurence Sterne mais c’est un livre qui a une logique interne très forte, même si Sterne lui-même ne connaissait pas la fin avant de l’écrire. C’est ça l’idée : vous devez trouver un moyen de lire et d’apprendre des grands auteurs pour comprendre leurs structures et comment les réutiliser.

Est-ce que quelqu’un lit ou relit votre travail pendant vos phases d’écriture ?

Mon mari. Je me réveille le matin et avant d’aller au travail je lui lis ce que j’ai écrit la veille à voix haute. Ça m’aide à comprendre le rythme. Donc je lui lis à voix haute, et je vois ses réactions… ou son absence de réaction. Je ne fais lire mon travail à personne d’autre jusqu’à ce que le livre soit terminé.

J’ai de la chance d’écrire des livres, parce que faire un film a l’air tellement compliqué

Qu’est-ce qui est le plus difficile à écrire pour vous ? Les dialogues ? Les descriptions ?
Vraiment ça dépend des livres. J’adore écrire des livres, c’est comme un puzzle. Nous venons de visiter le musée du cinéma à Lyon et ça m’a fait penser que j’ai de la chance d’écrire des livres, parce que faire un film a l’air tellement compliqué.

Quels sont les auteurs qui vous ont le plus appris ?

Charles Dickens, Shakespeare. Et les livres pour les enfants qui m’ont appris le plaisir de lire des histoires. Ils m’ont aussi appris qu’une même histoire peut avoir différents niveaux de lecture. Et plus on lit plus on comprend ces niveaux. Je relis mes classiques et j’apprends toujours un peu plus.
J’ai aussi appris de ces livres que j’étais intéressée par les thèmes plus adultes, les sujets complexes, ambigus. J’ai appris que je n’étais pas très attirée par le suspens, mais plutôt par la psychologie des personnages.

Par exemple Troloppe et Proust. Les deux sont intéressés par la psychologie des personnes. Les personnages de Trollope sont toujours ambigus. Quand ils désirent quelque chose, ils savent ce que ça va leur coûter financièrement ou psychologiquement. Je trouve ça passionnant. Puis Trollope est très bon pour créer des personnages complexes. Ce qui n’est pas le cas de Dickens.
De Proust, j’ai apprécié sa façon de se dévoiler pour mieux se déguiser, se cacher. J’ai lu plus tard que Proust était gay et que dans La Recherche, la figure de la personne aimée est un personnage masculin. Je trouve ça incroyable d’avoir été si transparent et si secret à la fois.
Madame de La Fayette et Marguerite de Navarre m’ont aussi beaucoup appris sur la complexité des personnages.

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Cet entretien a été réalisé durant les Assises Internationales du Roman 2018 par Lionel Tran, grâce à la collaboration de Mathilde Walton et Isabelle Vio. Il a également été transcrit et traduit par Julie Fuster pour vous permettre d’en profiter !

Si cet article vous a plu et que le travail d’écriture d’un roman vous intéresse nous vous invitons à consulter les conseils d’écrivains de Joyce Carol Oates ou à regarder notre interview exclusive de Chigozie Obioma.

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