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Jane Harper – Techniques d’écriture du thriller


« Il faut se mettre dans la tête du lecteur »


Jane Harper est une auteur anglaise-australienne de roman policier. Elle est journaliste depuis 13 ans (dans la presse australienne et anglaise). En 2014, une de ces nouvelles est selectionnée, ce qui l’incite à se pencher plus sérieusement sur la fiction. Elle suit des cours en ligne, et ébauche durant cet apprentissage son premier roman, qui est sélectionné par un éditeur.
Publié en 2015, The Dry (Canicule, en France, éditions Kero, 2017) est primé meilleure première oeuvre de fiction indépendante en Australie, et édité dans 20 pays (Royaume-Unis, États-Unis, traduit en français et en allemand). Les droits de ce roman ont été achetés par la productrice américaine Reese Witherspoon.


Les Artisans de la Fiction : Comment avez-vous appris les règles de la narration ?
Jane Harper : J’ai suivi une formation en ligne qui m’a enseigné la structure, les personnages, et comment faire passer ses idées de façon efficace. J’ai écrit mon roman dans ce cadre.  Puis j’ai continué de le réécrire, et de me perfectionner en lisant d’autres auteurs.

Y’a-t-il des écoles de narration en Australie ?
Ma formation en ligne était basée à Londres, mais oui, il en existe de similaires en Australie.

En quoi consistait cette formation ?
Le but était de terminer un roman. J’ai ramené cette histoire sur laquelle je travaillais déjà. J’ai soumis des chapitres et reçu des retours. En me basant sur ces retours j’ai effectué de nombreux changements et améliorations. J’ai énormément réécrit : après le premier jet je suis retournée au début et j’ai tout réécrit plusieurs fois, en améliorant le manuscrit à chaque jet.

Qu’avez-vous mis en place en premier : l’intrigue, les personnages ?
J’ai commencé par l’intrigue, donc la première chose qu’il m’a fallu définir a été la fin. Ensuite j’ai mis en place les principaux pivots dramatiques. Les personnages ne sont venus que dans un second temps, une fois que l’intrigue était solide. Ils se sont développés au fil des jets : à chaque réécriture ils devenaient plus vivants et multidimensionnels, avec des relations plus complexes.

Combien de temps cela vous a pris ?
J’ai commencé à écrire mon roman en septembre 2014, et j’ai terminé le premier jet trois mois plus tard. Ensuite j’ai écrit les seconds et troisièmes jets, et ce troisième jet a remporté un concours de manuscrits non-publiés en mai 2015. Cela aura donc pris six mois pour atteindre la qualité requise.

C’est très court.
J’ai travaillé comme journaliste pendant treize ans, donc j’avais l’habitude d’écrire vite, et surtout d’écrire tous les jours, ce qui est très important. Et même quand j’ai gagné ce prix, le manuscrit n’était pas terminé : j’ai écrit un quatrième jet où j’ai rajouté quelque chose comme 30.000 mots. C’était un long processus. Le roman a été vendu à un éditeur en août 2015, environ dix mois après que j’ai commencé.

Avez-vous suivi des cours de journalisme ?
J’ai fait des études de langues à l’université, suivies d’études de journalisme. J’ai travaillé pour des journaux anglais et australiens ; j’avais donc une pratique assidue de l’écriture avant de me lancer dans ce projet de roman. Cela m’a beaucoup aidé.

Y’a-t-il des règles communes entre narration et écriture journalistique ?
Dans les deux cas il faut être au clair avec ce que l’on veut communiquer. Il faut être le plus concis et engageant possible. Il faut donner au lecteur une raison de continuer à lire : on ne peut pas juste assumer qu’il va aller jusqu’au bout. Il faut toujours essayer de conserver son attention et son intérêt, avec des informations importantes disséminées tout au long de l’histoire. Il faut donc être bien focalisé, aller droit au but, ne pas inclure de chapitres, de paragraphes, de phrases ou même de mots qui n’ajoutent rien à l’histoire.

Quand vous étudiiez le journalisme, vous apprenait-on à structurer des histoires ?
Oui, mais on apprend surtout en s’entraînant. Que ce soit du journalisme ou de la narration, on devient meilleur avec la pratique. Mais la fiction est plus difficile que le journalisme.

Quelle est la principale différence ?
La longueur, bien sûr. Mais aussi le fait que dans la fiction il faut tout imaginer de A à Z, tandis que dans le journalisme les faits sont déjà là, on peut se reposer sur des citations, des photos, des événements réels.

Que trouvez-vous le plus difficile dans l’écriture romanesque ?
La phase de mise en place de la structure, lorsque l’on essaye de comprendre si l’histoire fonctionne, si elle est intéressante. Il faut se mettre dans la tête du lecteur, essayer de comprendre ce qu’il devra savoir, ce qu’il voudra savoir, ce qu’il ressentira à tel ou tel moment… C’est une étape difficile mais essentielle.

En ce qui concerne les informations dont le lecteur a besoin, prévoyiez-vous tout à l’avance ?
Je pose les grandes lignes le plus tôt possible : le début, le milieu, la fin. Le reste change inévitablement en cours de route, c’est pourquoi il est bon de pouvoir se reposer sur ces bases, afin de pouvoir improviser le reste.

Où trouvez-vous vos idées ?
J’ai commencé par cette idée d’un meurtre dans une petite bourgade qui souffrait d’une canicule qui touchait tous les habitants et créait beaucoup de tensions. A partir de là j’ai ajouté les personnages, leurs relations, et plus j’écrivais plus je trouvais de nouvelles idées ; je me suis notamment inspiré de différentes histoires que j’avais couvertes en tant que journaliste. Des conversations, des choses que j’avais lues ou que des personnes m’avaient dites quand je les interviewais… Certains de ces éléments n’étaient pas forcément liés à mon histoire, mais ils m’inspiraient, et je les adaptais.

Les décors sont-ils inspirés de lieux réels ?
C’est un mélange : la ville est fictive, mais une bonne partie des problèmes et des personnages que l’on y trouve sont communs à de nombreuses petites villes de la campagne australienne, et même du monde entier. Ces villes où les gens se connaissent et s’influencent tous… On y trouve beaucoup de tensions, beaucoup de pressions sociales, les relations de voisinage y sont intéressantes.

Comment construisez-vous vos personnages ?
Ils se transforment en cours de route. Quand je commence j’ai souvent besoin d’un certain type de personnage pour une raison précise en lien avec l’intrigue, pour effectuer certaines actions. Au début ils sont souvent trop unidimensionnels, trop stéréotypés et pas si intéressants, mais plus on réécrit plus ils deviennent intéressants. On creuse leurs relations avec les autres personnages, leur passé, et ils se rapprochent progressivement de personnes réelles, plus authentiques.

En termes de réécriture, quel est votre mode de fonctionnement ?
Je préfère d’abord écrire l’histoire entière, du début à la fin, plutôt que de réécrire au fur et à mesure. J’attends donc d’avoir terminé mon premier jet pour m’attaquer au deuxième. Cela m’évite de rester coincée, de ne jamais arriver à la fin. Chaque fois que je réécris, je repars du début, en essayant de m’améliorer à chaque fois. A chaque jet j’ajoute des éléments et j’en retire d’autres.

Quel conseil donneriez-vous à un romancier débutant ?
Le plus important est d’aller jusqu’au bout. Il faut essayer de terminer un jet complet, même s’il est court, même s’il ne correspond pas à nos attentes, même si on ne le trouve pas très bon. Sans quoi on risque de passer dix ans sur un roman sans jamais le terminer. Pour moi la meilleure façon d’accomplir ceci est, dans un premier temps, de ne pas se soucier du nombre de mots ou de la qualité d’écriture, mais juste de s’asseoir chaque jour et d’écrire une scène ou un chapitre avec une action qui fait avancer l’histoire. Pensez à ce que vous essayez de dire dans ce chapitre, et aux raisons pour lesquelles il figure dans l’histoire. Quand on arrive à la fin du premier jet, c’est un tel soulagement qu’on est heureux de retourner au début et d’écrire le second.

 

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Canicule est publié aux éditions Kero.

Interview : Lionel Tran

Remerciements à Gabriel de la Librairie Vivement Dimanche.

TRADUCTION (bénévole)  : Pierre Larsen

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