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Transmettre les techniques narratives – Rachel Bentham


« Je suis constamment confrontée à ce qui fonctionne et ce qui ne fonctionne pas dans un récit »

cours de creative writing Britol

Rachel Bentham est l’auteur de plusieurs recueils de poèmes, de nouvelles ainsi que de nombreuses pièces radiophoniques et docu-fictions diffusées sur BBC Radio 4. Elle est également professeur de Creative Writing à la Bristol University et à la Bath-Spa University depuis plus de 10 ans.
Julie Fuster l
’a interviewée sur son parcours d’auteur, de professeur de Creative Writing et sur ses techniques d’écriture.

J’ai retrouvé Rachel Bentham au Yurt Lush, à côté de la gare centrale de Bristol. Je cherchais à rencontrer un écrivain local pour l’interroger sur ses techniques d’écriture, et je ne pouvais pas me retrouver sous de meilleurs augures. “Gurt Lush”, c’est une expression d’argot bristolien, pour dire que quelque chose est génial, avec une connotation un peu pirate qui décrit bien l’ambiance générale de la ville. La Yurt Lush, elle, est une yourte en toile, mais qui n’abrite rien d’autre qu’un pub plutôt sage, fréquenté par des trentenaires en pleine pause-déjeuner.

Rachel m’y retrouve directement après avoir donné son cours de Creative Writing du vendredi matin, dans les locaux de l’Université de Bristol à Bath. “C’est un cours ouvert à tous, c’est une communauté d’auteurs très variés. Il y a des personnes à la retraite, des professeurs, mais aussi des jeunes d’une vingtaine d’années, des étudiants… Le niveau est plutôt élevé. J’enseigne les mêmes exercices que dans les cours de Master”, me dit-elle.  Intriguée par le niveau moyen d’un étudiant britannique que j’imagine biberonné aux grandes saga et à la littérature chevaleresque, je questionne Rachel sur les faiblesses les plus communes de ses élèves :  “Il y a ceux qui se perdent dans les descriptions, ceux qui ont des problèmes pour adopter un point de vue différent du leur. Par exemple, j’ai remarqué que les hommes ont parfois du mal à écrire d’un point de vue féminin, alors qu’on ne trouve pas spécialement le problème inverse.
Mais en réalité, le vrai problème ce sont les détails géographiques, même les plus infimes. Mes élèves oublient toujours de rappeler comment un personnage passe d’un point A à un point B. Mettons que nous avons deux hommes, assis de part et d’autre d’une table. Ils discutent tranquillement puis soudainement ils se mettent à se disputer puis à se battre. Qu’en est-il de la table ? Qui l’a contournée ? Est ce qu’ils ont sauté dessus ? Cela dit, (mes élèves) sont particulièrement observateurs. Ils ont, en général, une grande capacité à utiliser leurs observations pour créer des personnages. Mais je ne suis pas sûre que ce soit une particularité britannique ”.

Cela fait 12 ans que Rachel enseigne l’écriture. Avant ça, elle a beaucoup voyagé, elle a dirigé un magasin de vêtement pour lequel elle cousait elle-même les pièces, elle a eu quatre enfants, “et j’ai beaucoup travaillé gratuitement. Je me suis produite sur scène, pour des festivals de poésie et de littérature, pour rien, juste parce que j’aimais ça”. Elle rajoute : “Les gens pensent qu’ils n’ont aucune raison de payer pour lire ou entendre de la poésie.

J’ai toujours eu le besoin d’écrire à l’intérieur de moi”, m’explique Rachel. Quand je lui demande ce qui l’a poussé à commencer par la poésie, plutôt que par la fiction, sa réponse est matérielle, lucide. Ayant eu ses enfants assez tôt, elle s’est rapidement retrouvé avec un temps- libre fragmenté. “J’avais du temps pour moi, mais seulement une heure par-ci, puis une heure par-là , pendant que les enfants dormaient. Ce genre de timing c’est idéal pour la poésie. Je pouvais prendre une heure pour écrire un texte, puis le laisser reposer pendant trois jours, deux semaines ou plusieurs mois, puis revenir dessus et le corriger”. Quand ses enfants ont commencé à grandir, ses textes ont également pris de l’ampleur : “Je les amenais à leurs activités et je retournais m’asseoir dans la voiture pour écrire des histoires en les attendant”. Ses enfants devenus adolescents, elle décide alors de se lancer dans un roman, et elle s’inscrit en Master de Creative Writing, puis en thèse afin d’y puiser des techniques et des idées. Elle finit par obtenir une bourse de poète-résident par la ville de Bristol et se met à proposer des ateliers d’écriture poétique et de performances pour les femmes. C’est par ce biais qu’elle rencontre une productrice de la BBC qui produira l’intégralité de ses pièces radiophoniques et de ses docu-fictions.

Enseigner l’écriture est à la fois un problème et une solution pour son propre travail d’auteur. Elle avoue souffrir du nombre d’heures d’enseignement et de travail administratif qui est volé à son travail de création (“Ma vie compromet mon travail d’écriture”) et admet que si elle gagnait au Lotto, elle n’enseignerait qu’un jour par semaine, pour rester connectée à la réalité tout en pouvant se plonger dans l’écriture. Mais le fait que son travail soit lié au processus créatif est tout de même un avantage : “A travers le travail de mes élèves, je suis constamment confrontée à ce qui fonctionne et ce qui ne fonctionne pas dans un récit. Ça me fait beaucoup réfléchir sur mes propres productions”. Par exemple, en donnant un cours sur la création des personnages à ses élèves de Master, elle a pu prendre conscience de son propre processus. “A ce niveau là, on leur donne une liste de 50 questions qui leur permet de construire leurs personnages en profondeur. J’ai réalisé que moi-même, je ne le faisais pas. La seule fois où je l’ai fait… c’était hier… pour une pièce radiophonique que j’écris en ce moment.

Et elle avoue ensuite, presque honteusement, ne pas réellement préparer les personnages ni la structure de ses romans. “Je sais toujours en avance ce qu’il va se passer, mais en fait, ce qui m’intéresse c’est de m’immerger dans l’écriture. Elle fonctionne avec logique : “Je mets mon personnage dans une situation et je vois ce qu’il en fait. C’est comme ça que je le construis. Qu’est ce qui est le plus logique pour lui. Mes personnages et mon récit avancent de situation en situation”. Mais elle hésite, puis se reprend et m’assure qu’elle est convaincue que ce n’est probablement pas la bonne manière de procéder… “J’apprends très lentement, même si j’ai beaucoup travaillé la technique,  je ne cherche pas à écrire de manière consciente, je ne cherche pas à tout maitriser.” Elle évoque un membre de son groupe de travail qui écrit des romans à grand succès. Elle reconnait qu’il met en place une forme de recette qu’elle refuse d’appliquer à ses propres écrits.
Devant autant de modestie, il faut noter que Rachel a passé six années sur son dernier roman – encore non publié. Elle y met en scène une femme polynésienne, en plein 19ème siècle, qui tue son mari violent en essayant de se protéger de ses coups et qui va devoir gagner le pardon de sa communauté. Bien qu’elle avoue avoir eu l’idée de ce roman en voyant un portrait de cette femme dans le journal, Rachel admet que cette histoire représente un liant entre toutes les expériences qu’elle a pu traverser depuis son enfance.

J’ai vécu plusieurs années en Nouvelle Zélande, dit elle, et ma thèse traitait de la légitimité d’un auteur occidental à écrire de la fiction sur des autochtones”. Elle fait également brièvement référence à une formation de chaman qu’elle a suivi pendant sept ans à son retour en Angleterre, auprès d’une femme tahitienne immigrée. Il serait donc un peu naïf de penser qu’elle ne prépare rien ou presque, avant de se mettre à l’écriture. Mais Rachel s’en défendrait presque : “J’ai fait énormément de recherches sur les femmes polynésiennes, en histoire et en anthropologie. Mais c’est compliqué, parce que ces études ont principalement été menées par des historiens peu objectifs, qui déconsidéraient la culture polynésienne.” Puis elle souligne ensuite le danger de trop pousser ses recherches : “On risque ensuite de vouloir trop démontrer ses connaissances dans son roman.”

Après six ans de recherches et d’écriture, Rachel me dit que son roman est maintenant terminé mais qu’elle doute de sa publication en l’état. Selon elle, plusieurs aspects du roman le rendrait impubliable. Il y a d’abord la question de l’arc narratif de son personnage principal “Je dis toujours à mes élèves que les personnages doivent être animés par une quête, un désir, quel qu’il soit. Et qu’ils doivent agir activement à l’achèvement de cette quête. Mais mon personnage principal n’a rien de tout ça. Au 19ème siècle, une femme polynésienne ne cherche pas à réussir, ni à accomplir quoi que ce soit dans sa vie. C’est une vision très occidentale et moderne. Mon personnage est une personne passive… ça ne peut pas faire un roman publiable pour un éditeur”. L’argument marketing aurait donc raison de la vérité historique ou même de la simple plausibilité.

Rachel évoque également le problème à porter une histoire mettant en scène une femme noire lorsqu’on est un auteur blanc. Ses relecteurs lui ont fait remarquer qu’elle n’était pas en position de parler pour quelqu’un dont elle serait si éloignée culturellement. “C’est absurde ! Quand j’ai monté cette pièce radiophonique qui mettait en scène une femme occidentale du 12ème siècle, personne n’a rien trouvé à redire! Pourtant je pense qu’une femme anglaise du 12ème siècle est tout aussi éloignée de moi culturellement qu’une femme polynésienne du 19ème siècle !”. Le problème du politiquement correct reste un obstacle pour elle, et nous nous accordons sur le fait qu’il n’a pas sa place dans la création en générale et la fiction en particulier.

La fin de notre entretien file cette confrontation entre la liberté de la création et les attentes  des lecteurs, imaginées à tord ou à raison par les éditeurs. “Il y a une certaine tendance dans l’édition actuelle à publier des histoires avec des twists. Des révélations, des changements soudains. Ces gimmicks, ce sont un peu de la manipulation. On manipule l’histoire et on manipule le lecteur. Je n’aime pas l’idée de changer mon idée, mon intention de création dans le but de créer un twist. Mais en terme de marketing, j’ai tords”.

Nous sommes le vendredi 25 novembre, il est trois heures au clocher de la gare Temple Meads et la Yurt Lush se vide progressivement de ses trentenaires qui ont trop fait durer leur pause-déjeuner. Rachel est rejointe par un ami écrivain pour une séance de travail. Alors moi aussi je sors de la yourte, sonnée par son attitude altière, sa grande modestie et l’acuité de ses convictions aiguisées par toute une vie de travail et d’enseignement.

 

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Nouvelles diffusées sur BBC Radio 4:
1997 – The Body
1998 – Poison Garden
1998 – When should we live, if not now?
2000 – Learning the Ropes
2004 – Gymslip
2010 – Rip Off

Docu-fiction et pièces radiophoniques diffusées sur BBC Radio 4 :
1999 – On The Rob
2000 – Hanging Around
2003 – Dolly Shepherd, the Edwardian Parachute Queen
2006 – Cast in Stone

Prix :
1999: Sole winner of the ‘Picture This’ prize for film script Learning the Ropes
2005: 1st prize in the U.S.A. International Open Poetry Contest

Nouvelles :
J Gay and E Hargrave (eds) Her Majesty. Birmingham, Tindal Street Press, 2002.
Rachel Hazlewood (ed), Bristol Tales. York, Endpapers, 2005.
Ginny Bailey and Sally Flint (eds) Riptide – Vol 4. Exeter, Dirt Pie Press, 2009.

Anthologies (poésie) :
Alana Farrell (ed.) Rats for Love. Bristol, Bristol Broadsides, 1990.
PVT West, SJ Allen and G Hague (eds.) Rive Gauche. Bristol, Rive Gauche Publishing, 1997.
Sacha Tremain(ed.) Flowers on a Shoestring. Bristol, Institute of Physics Publishing, 2002.
Santosh Kumar(ed.) Symphonies. Allahabad, India, Cyberwit.net,. 2003
Todd Swift (ed.) 100 Poets Against the War. Cambridge, Salt Publishing, 2003.
David Johnson and Peter Hunter(eds) City. Bristol, Paralalia, 2004.
Andrew Himes (ed) withJan Bultmann, Voices in Wartime ; Anthology. Seattle, Whit Press, 2005.
Pat VT West and Gill Hague What She also Did Was… Bristol, Rive Gauche, 2007.
Monica Jones (ed) Up to Our Necks In It; Poems on the Way We Live Now. Bristol, Black Tulip Books, 2009.
Susan Richardson and Gail Ashton (eds) In The Telling. Blaenau Ffestiniog, Cinnamon Press, 2009.
Rachel Bentham and Sheila Yeger (eds) It was not and never would be enough and… Bristol, Rive Gauche, 2010.

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