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Viviane Moore : « J’écris entre 6, 7, 8 heures par jour »


Viviane Moore/France

Viviane Moore, née le 3 juillet 1960 à Hong Kong, est une journaliste, photographe et romancière française. Elle est connue pour sa série de romans policiers historiques mettant en scène un héros récurrent : Galeran de Lesneven.


Artisans de la Fiction : Viviane Moore, comment travaillez-vous sur un roman ?
Viviane Moore : Je pars souvent d’un lieu. Un lieu que je ne connais pas. Si je ne le connais que par des images, je vais aller faire des repérages, mais c’est souvent le lieu-personnage qui est à l’origine de beaucoup de mes livres.

Je vais faire tout un repérage, travailler, voire y vivre certaines fois. Sinon, je travaille sur des lieux que je connais comme le Japon, l’Italie, la Sicile notamment. Même en France, très souvent, ce sont des lieux qui ont été déclencheurs d’une recherche, d’une histoire. J’utilise le lieu comme un personnage. Le lieu est un personnage à part entière.

Est-ce que ça veut dire que vous construisez l’histoire passé du lieu ?
Oui, j’utilise une partie de l’histoire du lieu, mais j’essaye surtout de retrouver aussi l’ambiance de l’époque, en l’occurrence du Moyen Age. Mon dernier livre c’est la Venise médiévale. Puis, j’utilise ce lieu comme je le ferais avec mes personnages.

Qu’est-ce que vous construisez ensuite ? Les personnages ?
Il n’y a pas de règles. Chaque livre a son procédé de naissance, son mode de création. Il n’y a jamais la même façon d’aborder un livre. Un livre a son temps, a sa durée, je ne peux pas dire à l’avance si ce sera un texte long ou court. Je pense que chaque livre a son temps.

Y a-t-il des éléments indispensables à préparer ?
Non. Je peux partir avec rien. Ce qui m’intéresse c’est le danger, la prise de risque. Partir dans l’inconnu. Ce n’est pas de savoir faire quelque chose qui m’intéresse, c’est de ne pas savoir le faire. Je ne suis pas forcément le bon auteur par rapport au questionnement que vous avez.

Je peux faire une fiche personnage, mais je peux aussi partir de façon très brute

Il vous arrive quand même de construire les personnages ou ce sont toujours des sortes de doubles de vous ? 
Déjà, je n’ai pas énormément de personnages féminins. Mais bien sûr que ça arrive, puisque je n’ai pas de règles. Je peux faire une fiche personnage, mais je peux aussi partir de façon très brute et le bâtir en écrivant, de façon beaucoup plus « pointilliste ».

Vous n’êtes pas une romancière débutante ?
Si, je suis toujours une débutante. Si on est honnête, on est toujours débutant. Surtout si on ne sait pas faire. Il y a des auteurs qui savent faire, mais ce n’est pas mon cas.

Est-ce que cela vous arrive de construire la structure de l’histoire ?
Ça peut arriver oui.

Faites-vous beaucoup de recherches pour vos romans historiques ?
Oui, énormément. Pendant des années. Si je prends l’exemple de La trilogie Celte, je me suis aperçue que c’était des recherches que j’avais faites quand j’étais adolescente. Elles sont ressorties à un moment donné, même si ça n’a pas empêché que je reprenne ces recherches. Je travaille en continu sur énormément de thèmes qui m’intéressent, je suis d’un naturel plutôt curieux, et à un moment donné, il y a quelque chose qui prend le pas sur le reste. Le principe est d’avoir une grande ouverture par rapport aux sujets. Oui, je récolte des matériaux de manière large, sans forcément trier tout de suite. Par contre, lorsque j’ai décidé de quelque chose, si j’ai un sujet qui m’intéresse, là, je vais aller creuser. Tout en essayant de ne pas avoir d’idées préconçues sur ce que je cherche, mais sur ce que je vais trouver.

De quoi avez-vous besoin quand vous faites des recherches ?
Par exemple, Les Normands de Sicile, bizarrement, moi je les ai rencontrés en allant au Spitzberg. Ce n’était pas du tout logique. Quand j’y suis allée, j’ai eu profondément le sentiment de ces zones du Nord, et pourquoi ils avaient quitté le Nord, pourquoi ils étaient partis vers la Méditerranée, pourquoi ils avaient fondé un royaume là-bas. À ce moment-là, j’ai eu envie d’aller creuser sur les Normands de Sicile. Et là je suis redoutable, car je veux connaitre toute l’histoire de A à Z. Si j’aborde les Croisades, je ne vais pas m’arrêter à la première, je veux savoir l’intégralité, pour avoir une perspective. J’aime connaître à fond le sujet.

Ce sont des recherches uniquement livresques ou vous avez besoin d’aller sur place ?
C’est beaucoup de recherches livresques, de bouquins universitaires, bouquins d’historiens, mais j’ai toujours un travail physique aussi. J’ai besoin d’un aspect physique, d’un rapport physique à l’environnement. J’ai des cahiers de travail. Des cahiers précis, livre par livre.

Quand vous rentrer dans le travail d’écriture à proprement parler, vous avez besoin de visualiser les lieux dans lesquels une partie de l’histoire va se dérouler ?
Oui, c’est le côté « photographique » évidemment, car c’était mon ancien métier. Oui, je peux faire des plans, je dessine beaucoup.

Et pour les personnages, vous vous inspirez d’informations sur lesquelles vous avez pu tomber pendant vos recherches ou de personnes que vous avez connues ?
Les deux. C’est un mélange assez atypique oui.

Vous ne construisiez pas forcément une intrigue. Mais, dans une trilogie par exemple, avez-vous besoin de savoir  où vous allez ?
Non, pas forcément, car là aussi, j’aime bien être surprise. Je n’aime pas tout prévoir. C’est même l’inverse. Si on fait seulement ce qu’on sait faire, ce n’est pas intéressant. Moi, ça ne m’intéresse pas en tout cas. Quand j’ai commencé ma première série médiévale sur Galeran, j’aurais pu faire 90 livres derrière avec Galeran, mais j’ai eu le besoin de me mettre en danger.

J’ai fait de la science-fiction, j’ai fait des thrillers, je suis partie au Japon, je me suis lancée dans la Trilogie Celte et c’était complexe, car c’était une documentation beaucoup plus archéologique. Il y avait beaucoup de travail sur des textes anciens, et donc une façon de travailler différente : essayer de trouver un langage différent, essayer d’inventer des choses, etc. C’est ça qui est intéressant. Après, une fois que je suis dans un sujet, je suis extrêmement structurée.

Comment vous organisez votre travail d’écriture ?
Je travaille tous les jours. Entre 6, 7, 8 heures par jour, y compris le week-end, et les jours fériés. Sauf pendant les salons !

 Est-ce que vous réécrivez beaucoup ?
Je travaille en boucle. C’est-à-dire, un jour j’écris un chapitre, et le lendemain je relis le chapitre et je fais le second. Je ne réécris pas forcément le chapitre, mais il est relu, autant de fois qu’il y a de chapitre à écrire. Relu, ou modifié, ou supprimé. C’est un travail en boucle.

Est-ce que vous vous faites relire ?
Non. Je suis ma propre relectrice. C’est le seul avantage d’être un vieil auteur. Quand on a écrit un certain nombre de livres, on a suffisamment d’altitude pour juger de ce qu’on fait, à peu près objectivement. Quand on est un auteur débutant, on a le nez dedans et c’est plus compliqué.

À quel point vous pensez avoir progressé dans l’écriture ? Y a-t-il des choses qui étaient particulièrement compliquées à maîtriser au début ?
Non, j’écris depuis que je suis gosse. C’est assez instinctif. Je ne me juge pas merveilleuse et excellente, mais le domaine de l’imaginaire et de l’écriture, c’est ma nature donc je n’ai pas d’analyse là-dessus. C’est inné. Encore une fois, ça ne veut pas dire que je me juge bonne, mais c’est comme respirer un peu.

Après, quand je me relis, il y a des fois où je jette tout. Je suis capable de jeter trois chapitres parce que je ne les trouve pas à la hauteur. Ou, quand j’ai fini un livre, je peux retravailler la musique de l’ensemble, par exemple. Les difficultés dans un livre, c’est la lourdeur, dans le sens où, quand on fait un livre qui dépasse les cinquante pages, ça devient quelque chose comme une sculpture en argile. Il faut soulever la masse, il faut arriver à la manipuler. Et plus il y a de pages et plus cette manipulation demande en force, en puissance, dans certains cas.

Comment avez-vous appris à raconter des histoires ?
Je n’ai pas appris. Je suis un petit poucet. Zoé Oldenbourg (une très bonne auteure qu’on a un peu perdue) disait que les auteurs, qu’un enfant auteur, est tout sauf insouciant. Dès l’enfance, on ramasse les petits cailloux blancs. Et je crois que c’est ce que j’ai fait aussi.

Quels étaient ces petits cailloux blancs ?
Alors ça… ça va devenir très intime comme discussion. Il y en a beaucoup. Il y a des enfants qui courent sur le chemin, sans se soucier de rien, et puis il y a des enfants qui vont se poser des questions sur l’arbre, sur l’eau qui coule, sur le son, etc. C’est ça les cailloux blancs.

Vos histoires sont-elles toujours inspirées en profondeur par vos expériences ?

J’espère oui. Il y a les expériences et il y a l’imaginaire pur aussi. L’imaginaire, je crois que ce n’est pas quelque chose qu’on a tous en partage. Là aussi, je pense que c’est très lié à l’enfance ; à l’enfance qu’on a eue, à la façon qu’on a eue de gérer notre environnement, au sens large, comme nos émotions par exemple.

Et les histoires dont on a été arrosées aussi ? De plein de manières, que ce soit les histoires du quartier, les histoires de la famille, etc. Je ne parle pas forcément des livres, même si beaucoup d’enfants grandissent avec des histoires écrites. Moi, j’étais plutôt du genre à faire les histoires pour les autres. Déjà petite. J’étais plutôt solitaire. Donc je n’ai pas eu vraiment de bain extérieur, même s’il y a des bains dont on ne se rend pas compte bien sûr. C’est plutôt la solitude, et de fait, l’observation du monde et des autres qui a amené une matière. Le questionnement sur le monde.

 Est-ce qu’il y a des auteurs qui vous ont donné envie d’écrire des livres ?

J’aurais du mal à nommer un auteur. J’ai eu un cheminement particulier, car je n’ai jamais voulu publier. J’écrivais pour moi à la base. J’ai commencé à travailler, je suis partie comme reporter, donc je m’écrivais moi mes histoires, manuscrites. Il a fallu une rencontre avec un éditeur, dans un train, pour qu’il y ait une bascule qui se fasse. Je n’avais pas un besoin de publication, par contre, un besoin de me raconter des histoires. Ça, indéniablement.

Est-ce que vos éditeurs vous ont déjà fait retravailler des textes ?
Non, je serais partie sinon. Je détesterais. C’est mon histoire. Mais je la partage avec les lecteurs. Comme je suis quelqu’un de très précis, je n’ai jamais rencontré ça.

Vous vous racontez les histoires quand vous les écrivez ?
D’abord oui. Toujours. Comme avant. Pas de changement à ce niveau-là. Tant que je m’amuserai comme ça, ça sera bien pour le lecteur aussi.

Est-ce que vous auriez un conseil à un apprenti romancier, une apprentie romancière ?

Surtout rester libre. C’est pas facile, surtout dans ce monde, tellement imbibé d’images et de choses déjà vues, déclinées de tant de façons différentes. C’est très dur pour les jeunes, actuellement, d’avoir cette identité originale qui fait un auteur. Ça tient à l’enfance, oui, mais justement, quand je vois comment l’enfance est à la fois sécurisée, mais envahie par les images… Combien d’enfants sont déjà sur des écrans tout petits ? ça ne nourrit jamais autant que le livre. Après ça, c’est très dur de créer librement. Niveau imaginaire. Ils n’ont pas ramassé les petits cailloux blancs. En écriture pure, je pense qu’il faut se lire à voix haute. Quand je relis mes chapitres, je relis à voix haute. Toujours au moins une fois. Quand j’ai un doute sur la fluidité des chapitres, je relis à voix haute.

 

Interview : Lionel Tran
Transcription : Coline Bassenne

Remerciement : Viviane Moore, Quai du Polar.

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