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Blackwater : Le retour du roman feuilleton


Blackwater de Michael McDowell est une saga familiale absolument addictive et maîtrisée par une plume efficace qui nous transporte dès les premières pages. Même si l’horreur n’est pas votre tasse de thé, vous lirez une œuvre si entraînante que vous ne serez pas déçu !


Peu nombreux sont ceux et celles qui n’ont pas entendu parler de cette série. Publiée sous la forme de roman feuilleton en six tomes par les éditions Monsieur Toussaint Louverture entre avril et juin 2022, cette saga familiale a détrôné un tant soit peu la famille Cazalet (“La saga des Cazalet”, d’Elizabeth Jane Howard aux éditions de la Table Ronde) dans le cœur des lecteurs et lectrices. Traduits pour la première fois en français, les Caskey ont su nous séduire et nous faire frémir à travers les pages de Blackwater, série culte aux États-Unis écrite par Michael McDowell en 1983.

Je tiens à préciser que je vais m’efforcer de ne pas spoiler les plus gros événements de la saga, mais je rentrerai dans quelques détails pour vous montrer la complexité de l’intrigue et des enjeux.

Dans cette saga, nous allons suivre les Caskey pendant plus de cinquante ans, riche famille qui a fait fortune dans l’exploitation du bois au bord de la rivière qui a donné son nom à la saga : Blackwater. Mais si ses eaux ocres savent donner la fortune, elles peuvent aussi tout détruire quand elles sont en crue. C’est ce qui arrive dès les premières pages : la Perdido et la Blackwater sont sorties de leurs lits et ont inondé la ville sous 5 mètres d’eau.

Alors qu’Oscar Caskey part à la recherche d’objets à sauver avec son domestique Bray, il découvre dans une chambre de l’hôtel miraculeusement épargnée par les eaux, une très belle jeune femme à la chevelure rousse : Elinor Dammert. Personne ne l’a jamais vu, elle est arrivée juste avant la crue car elle a entendu parler d’un poste d’institutrice vacant. Si Oscar tombe immédiatement sous le charme de la belle inconnue, sa mère Mary-Love, Bray et bien d’autres ne voient pas son apparition d’un bon oeil et soupçonnent qu’il y a quelque chose de bizarre avec cette femme. Surtout qu’elle semble étrangement intéressée par la famille Caskey…

Une construction élaborée

Les éditions Monsieur Toussaint Louverture ont imaginé une parution particulière et inédite aujourd’hui en France : le retour du roman-feuilleton ! S’il faut en général attendre minimum six mois pour avoir le tome suivant d’une série, Blackwater a eu droit à une sortie tous les quinze jours. Pourquoi ? Car la série a été pensée comme un roman-feuilleton, et a eu le même traitement lors de sa première parution en 1983.

Et ça se ressent dans la construction de chaque tome : on y suit les personnages sur une période d’environ dix ans, les dernières scènes annoncent la thématique du tome suivant et donnent envie de lire la suite. Par exemple, à la fin du tome 1, la guerre entre Mary-Love et Elinor est déclarée, et si cette dernière était très passive mais bien consciente du ressentiment de sa belle-mère depuis son arrivée à Perdido, elle va prendre une décision et passer un pacte très inattendu avec son adversaire. Je garderai la nature de ce pacte secrète, mais force est de constater qu’on imaginerait jamais une femme faire ça. Alors forcément, il faut qu’on lise la suite !

Si cette saga est découpée en ensemble logique pour en faire un roman-feuilleton, chaque tome à droit à une construction tout aussi logique. On a droit à une alternance de scènes actives et de résumés narratifs qui permet de faire passer les années sans qu’on ait la sensation de longueur ou au contraire de rater une information. L’auteur sait quelle scène mettre en avant et transmettre des points importants aux lecteur.ices, que ce soit quand ça concerne les affaires financières des Caskey, leurs relations familiales, ou les événements surnaturels qui ont à chaque fois une importance cruciale pour le reste de la saga.

Une plume efficace

“À l’aube du dimanche de Pâques 1919, le ciel au-dessus de Perdido avait beau être dégagé et rose pâle, il ne se reflétait pas dans les eaux bourbeuses qui noyaient la ville depuis une semaine.” (cf p.7 , éditions Monsieur Toussaint Louverture). Rien que cet incipit est révélateur de la plume de Michael McDowell : il arrive à faire défiler les saisons en quelques lignes tout en nous offrant des images saisissantes et des métaphores impactantes. D’ailleurs, il dira dans une interview avec Douglas E. Winter : 

 “Je suis un écrivain commercial et j’en suis fier. J’aime être publié en livre de poche. Et je suis un artisan. Je suis très impliqué dans cette notion d’artisanat, dans le fait d’améliorer mon écriture, de la rendre claire, concise et de dire exactement ce que je veux dire, exactement ce que je pense, d’améliorer ma plume et de faire de mon mieux dans le genre dans lequel j’écris. J’écris des choses qui seront mises en vente dans une librairie le mois prochain. Je pense que c’est une erreur d’essayer d’écrire pour la postérité. J’écris pour que des gens puissent lire mes livres avec plaisir, qu’ils aient envie d’attraper un de mes romans, qu’ils passent un bon moment sans avoir à lutter.”

Et il a réussi ! Dès qu’on ouvre les premières pages de Blackwater, sa plume nous embarque directement à Perdido et arrive à diffuser un suspens tout au long de la saga.

Il gère très bien les scènes réactives et les ellipses, mais c’est également le cas pour les scènes actives. Dans chaque tome, des événements surnaturels vont jalonner la vie des Caskey, que ce soit des disparitions mystérieuses ou des meurtres qu’on peut difficilement oublier. Par exemple dans le tome 1, un des personnages va mourir par un curieux concours de circonstance, et sa tête va se retrouver empalée dans un tronc d’arbre. Si vous connaissez la série de films “Destination finale”, vous reconnaîtrez ce principe de réaction en chaîne qui amène cette mort pour le moins spectaculaire (sauf que dans le cas de Blackwater, c’est tout même un peu plus crédible qu’une goutte d’eau qui finit par rôtir deux jeunes femmes dans une cabine de bronzage). Pour les personnes qui n’aiment pas l’horreur, je vous rassure, ce n’est pas une hécatombe 

morbide, en vérité il y a une à deux scènes similaires par tome, la plupart du temps on suit la vie des Caskey dans leurs affaires financières et leurs conflits familiaux.


Un univers narratif et des personnages ancrés dans l’Histoire

Le XXe siècle est riche de grands événements historiques, et ils sillonnent bien sûr toute la saga. La Grande Dépression des années 30, la Seconde Guerre Mondiale, la chasse au pétrole, tous ces événements sont en toile de fond dans la vie des Caskey et de Perdido, et vont animer certaines décisions ou grands changements dans les personnages. On va par exemple voir James Caskey (oncle d’Oscar Caskey) être déchiré par le départ de son fils adoptif pour la guerre, ou des ouvriers semer la zizanie dans la ville lors de la construction de la fameuse digue, ce qui entraînera une intrigue qui impactera la vie de Queenie Strickland (belle-soeur de James) sur le très long terme. Dans Blackwater, tout est réfléchi et chaque relation ou événement peut avoir un impact positif ou négatif sur les personnages.

Et chaque personnage a droit à un arc narratif ! Si certains vont simplement s’assumer et prendre confiance en eux comme la petite Grace Caskey, d’autres vont avoir des arcs bien plus marquants. Je vais prendre l’exemple de Sister : fille de Mary-Love et sœur d’Oscar, c’est la jeune fille qui a toujours vécu sous la coupe de sa mère dominatrice et autoritaire (d’ailleurs vous remarquerez la puissance de son surnom). Petit à petit, elle va avoir besoin de s’émanciper et fera quelque chose qui va érafler à jamais la relation avec sa mère, alors que c’est vu comme le parcours normal pour une femme de cette époque : se marier.

Bien des années après, elle regrettera amèrement son choix, le seul vrai choix qu’elle aura fait de toute sa vie, et ne deviendra plus que l’ombre de sa mère qu’elle semblait pourtant détester. Dans son cas, c’est clairement une tragédie doublée d’excès malheureux. D’autres personnages finissent bien mieux que Sister, comme Miriam Caskey, Malcolm Strickland ou Frances Caskey, mais je ne vais pas les détailler ici pour ne plus flirter avec le spoil. Sachez juste que Blackwater est un parfait exemple d’histoire qui laisse chaque personnage s’épanouir de manière positive ou négative, et chaque parcours est différent selon la personnalité de chacun ou les obstacles qu’ils ou elles vont devoir surmonter.

Chaque personnage est très bien caractérisé, ce qui fait que malgré l’arbre généalogique qui s’agrandit au fur et à mesure de la saga, on se souvient de chacun d’eux. On est fasciné par Elinor, attendrit par Grace, on a de la pitié pour Oscar qui marche constamment sur des œufs, et Mary-Love… on adore la détester. Elle campe à la perfection son rôle d’antagoniste d’Elinor, c’est une personnalité très forte qui ne change que lorsque c’est dans son intérêt et fait passer ses actions intéressées pour de la bonté et de la générosité envers ses proches. Elle est détestable, et pourtant elle tient une place tellement importante qu’on ne peut imaginer quelqu’un d’autre à sa place. Il est dit que Blackwater est l’œuvre la plus autobiographique de Michael McDowell, je n’ose imaginer de qui il s’est inspiré pour créer Mary-Love…

Résumés des tomes de la saga

La Crue, tome 1
Elinor Dammert apparaît alors que la ville de Perdido est noyée sous une crue historique. Si elle est très belle et bienveillante au demeurant, elle attise soit la curiosité chez les habitants, soit la crainte voire la haine auprès de Mary-Love Caskey, la mère d’Oscar Caskey, directeur d’une des scieries de la ville. Et le fait que cette inconnue tourne autour de son fils ne plaît pas du tout à la matriarche qui gère sa famille d’une main de fer.

La digue, tome 2
Suite au traumatisme de la dernière crue de la Perdido, les habitants se lancent dans la construction d’une digue afin de prévenir la prochaine montée des eaux. Mais les chantiers ne se déroulent pas comme prévu : les ouvriers mettent la pagaille dans la ville et les rivières empêchent la bonne avancée des travaux. Chez les Caskey, les manigances de Mary-Love se confrontent à celles d’Elinor, qui ne voit pas la construction de cette digue d’un très bon œil.

La maison, tome 3
La grande dépression arrive aux portes de Perdido, tandis que des présences surnaturelles perturbent la tranquillité d’Elinor et sa famille dans la maison qu’ils ont mis tellement de temps à habiter à cause des manipulations de Mary-Love.

La guerre, tome 4
C’est au tour de la guerre de s’installer dans les rues de Perdido. Les jeunes s’engagent et partent sur le front pour ne peut-être plus revenir, et la famille Caskey ne fait pas exception à ces déchirantes séparations. Mais Elinor et Oscar sont sur le point de se relever de leurs difficultés financières et vont faire fructifier leurs affaires, grâce à des alliances inattendues.

La fortune, tome 5
Il n’y aura plus seulement la scierie qui va agrandir la fortune de la famille Caskey ! C’est la découverte de fera le clan quand deux de ses membres s’installeront dans une ferme perdue à côté de marais boueux… Mais doucement, la Nature commence à réclamer son dû…

La pluie, tome 6
Les années se sont écoulées, et la plupart des membres du clan Caskey ne sont plus que l’ombre d’eux-mêmes, et les vengeances du passé pourraient revenir en force pour réclamer Justice. Elinor devra faire face à la mort de ses proches et également ’aux menaces qui toquent à sa porte.

Michael McDowell : un maître du surnaturel

S’il n’est pas très connu en France, c’est un monument reconnu et apprécié sur le sol américain. Né en 1950 en Alabama et décédé en 1999, il essuya plusieurs refus pour ses premiers écrits (romans et scénarios), mais fut finalement reconnu comme un auteur d’histoires d’horreurs impactantes. Il devint notamment scénariste pour “Beetlejuice” et “L’étrange Noël de Monsieur Jack”, mais aussi pour un épisode de la série des “Contes de la crypte” en 1989.

La famille est un environnement relationnel qui le fascinait beaucoup. On en a un bel exemple dans Blackwater, mais quand on regarde ses autres œuvres, on se rend compte que beaucoup tournent autour des relations familiales et des difficultés de communication qu’elle peut entraîner. Il disait d’ailleurs dans une interview : “Cela ne me dit rien d’avoir une famille à moi, mais il faut pourtant qu’il y ait des familles – c’est juste que je n’ai aucune envie d’avoir quoi que ce soit à faire avec elles. Je les trouve violentes, oppressantes, manipulatrices – et pour toutes ces raisons, elles sont aussi intéressantes. Je n’ai pas de famille en ce moment – j’en ai en Alabama, mais pas près de moi. J’ai des amis avec moi, mais les amis ont tendance à être plus ou moins du même âge ou de la même génération. Et même si vous avez des amis de vingt-deux ans et d’autres qui en ont cinquante-cinq, il s’agit en général de relations horizontales.” Et après avoir lu la saga Blackwater, on remarque qu’il y a beaucoup développé sa théorie sur les relations horizontales et verticales : la relation entre Mary-Love et Sister Caskey est évidemment verticale, avec un rapport de domination très fort, alors qu’Elinor aura plus tendance à considérer ses filles comme ses égales (elle aura une relation très conflictuelle avec Miriam sa première fille, qui s’adoucira avec le temps). Dans “The Amulet” son premier roman, on retrouve ce côté enquête surnaturelle avec l’influence néfaste d’une belle-mère haineuse. Je suis moi-même curieuse de le lire, peut-être qu’on retrouve le schéma relationnel de Mary-Love et Elinor que j’ai adoré et qui rythme si bien la saga Blackwater.

Blackwater est une saga familiale absolument addictive et maîtrisée par une plume efficace qui nous transporte dès les premières pages. Ça a été dur d’attendre à chaque fois deux semaines pour lire la suite de cette série, alors découvrez-la d’un seul coup maintenant qu’ils sont tous sortis ! Même si l’horreur n’est pas votre tasse de thé, vous lirez une œuvre si entraînante que vous ne serez pas déçu !

Aline-Marie Pichet est libraire à


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