On écrit mal quand on pense trop. La romancière indienne Geetanjali Shree (Booker Prize 2022) nous apprend à désactiver le pilote automatique de la raison pour libérer l’intelligence sensible. Un manifeste pour l’intuition, la lenteur… et le vrai travail d’écrivain.
Libérer le subconscient : écrire en éteignant son cerveau
Geetanjali Shree écrit comme on entre en transe : sans plan, sans dogme, sans se regarder faire. Ce qu’elle cherche, ce n’est pas la brillance du cerveau en pleine conscience. C’est ce qui bruisse en dessous.
« J’essaie de ne pas travailler avec mon cerveau conscient. Pas parce que je cherche le mystère, mais parce que derrière, il y a tout un appareil de pensée et de sensation qu’on n’utilise pas assez. »
Shree écrit avec tout son corps. Son intuition. Sa mémoire diffuse. Son imaginaire contaminé par la rumeur du monde. Elle « désactive » le mental pour activer ce qu’elle appelle « l’être entier » : ce qui a vu, entendu, souffert, désiré — mais n’a pas encore parlé.
Ne pas diriger l’histoire : la laisser émerger
Chez elle, ce ne sont pas les idées qui dirigent les personnages. Ce sont les personnages qui prennent le pouvoir.
« Le récit réussit quand les personnages prennent vie. Quand ils agissent par eux-mêmes. Quand ce n’est plus moi qui décide. »
Pas de plans détaillés. Pas d’architectures verrouillées. Elle attend que la dynamique s’installe, que la fiction s’auto-organise. Le romancier n’est pas un dieu. Il est un terrain fertile — et les personnages sont les orages qui y germent.

Réécrire, mais lentement
Geetanjali Shree ne réécrit pas à la va-vite. Elle bâtit un socle.
« Le premier jet doit être une base solide. J’écris lentement, j’attends le bon moment. Et une fois cette fondation posée, je travaille chaque phrase avec patience, nuance et précision. »
Elle revendique cette lenteur comme une méthode. Pas par perfectionnisme vaniteux, mais parce que chaque mot modifie l’équilibre de l’ensemble. Le style, ici, n’est pas cosmétique : il est structurel.
Savoir écouter les retours — sans s’y perdre
Son mari lit chaque version. Il en souffre — « il doit remarquer quand je change une virgule », dit-elle en riant — mais c’est la condition d’un regard utile. Elle écoute, mais transforme le retour en boussole intérieure.
« Un retour n’est utile que si je peux l’absorber. Il faut que ça devienne visible aussi pour moi. Sinon, même si c’est pertinent, je ne peux pas l’intégrer. »
Ce n’est donc pas le retour qui prime, mais l’écho qu’il réveille. L’écriture reste, toujours, un choix intime.
Son conseil aux auteurs : observer, ressentir, rester sincère
Pas de recettes miracles. Juste une exigence d’honnêteté.
« Affûtez votre sensibilité. Regardez. Écoutez. Ressentez. Et écrivez avec une sincérité totale, sans vous demander si cela vous mènera à un prix littéraire. »
Geetanjali Shree rappelle que l’écriture vient d’un regard aiguisé sur le monde — pas d’une stratégie éditoriale. On n’écrit pas pour gagner. On écrit pour comprendre.
Un héritage vivant et sans frontières
Elle se nourrit autant de la tradition orale indienne que des romans contemporains. Mais sans jamais chercher à imiter.
« Tout m’inspire. Mais rien ne me dicte. Je n’imite pas. Je laisse infuser. Puis j’écris à ma manière. »
Le modèle est donc moins un auteur qu’un espace commun, un grand tambour d’histoires où chacun vient puiser. L’héritage, chez elle, n’est jamais figé : il est vivant, poreux, mutatif.
Les histoires sont là pour ralentir le monde
Enfin, Geetanjali Shree croit encore à la lenteur. À la lecture comme résistance.
« La littérature ne va pas disparaître. Elle est lente. Elle oblige à s’arrêter. Elle ouvre une expérience. Et ça, ça va rester. »
Face au bruit, aux IA, à la vitesse : elle oppose le pas de côté. La nuance. Le silence qui parle.
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