L’écriture, un talent inné ou une compétence à maîtriser ? Lilja Sigurðardóttir, figure emblématique du polar nordique, lève le voile sur les secrets de l’apprentissage de la narration. Forte d’un héritage culturel riche et d’une expérience personnelle unique, elle nous interpelle : Peut-on réellement apprendre à écrire des histoires qui captivent à l’heure où l’intelligence artificielle défie la créativité humaine ? Plongez dans les réflexions profondes de cette autrice autodidacte qui, entre tradition et innovation, défend avec passion l’importance de la lecture, de la recherche et du courage de partager son œuvre pour maîtriser l’art d’écrire.
Lilja Sigurðardóttir, auteure islandaise née en 1972, s’est imposée comme une figure incontournable du polar nordique. Diplômée en pédagogie, elle a exploré divers domaines de l’écriture, du roman au théâtre en passant par les scénarios. Sa série « Reykjavík Noir » a connu un succès international, traduite en plusieurs langues et récompensée par de prestigieux prix littéraires. Mais au-delà de son œuvre, Lilja offre une réflexion profonde sur l’apprentissage et l’enseignement de la narration, mêlant héritage culturel et expérience personnelle.
L’importance de raconter des histoires
Pour Lilja Sigurðardóttir, la littérature est avant tout une extension de la tradition orale islandaise. Elle souligne :
« Je pense que la littérature est la perpétuation de la tradition orale du récit. Les Islandais ont commencé à écrire leurs histoires très tôt, mais avant cela, il existait une riche tradition de contes oraux. »
En Islande, les contes et les sagas ont toujours occupé une place centrale, préservant la langue et la culture du pays. Lilja ajoute :
« C’est très important pour nous en Islande de garder notre langue vivante. Mais pour moi, c’est toujours l’histoire qui compte. Il faut qu’il y ait une bonne histoire, quel que soit le genre littéraire, mais surtout en fiction policière. »
Héritage familial et culturel
Issue d’une famille passionnée de littérature, Lilja a été bercée par les livres dès son plus jeune âge. Elle raconte :
« Mes parents étaient très livresques. Mon grand-père était écrivain. Il écrivait des livres pour enfants et de la poésie et a eu beaucoup de succès en tant qu’auteur pour enfants. Mon père était historien et a écrit de nombreux manuels pour l’université, et il a aussi fait beaucoup de traductions, surtout de la littérature sud-américaine. »
Elle se souvient particulièrement des listes de lecture que lui faisait son père :
« Mon père avait l’habitude de me faire des listes de lecture, issues de sa bibliothèque. Il choisissait pour moi les livres que je devais lire. J’ai donc lu tous les prix Nobel, toute la ‘bonne littérature’ du monde, avant d’avoir 15 ans. »
Sa mère, quant à elle, lui a transmis le goût du roman policier :
« Ma mère adorait les romans policiers, donc elle m’en donnait à lire quand j’étais enfant. Des auteurs comme Enid Blyton, Agatha Christie et ensuite, Alistair MacLean, et ainsi de suite. J’ai donc commencé à lire des romans policiers par l’intermédiaire de ma mère, et ça a toujours été mon genre de lecture de plaisir. »
Cet héritage familial a façonné sa vision de l’écriture, alliant la profondeur littéraire à l’efficacité narrative du polar.
L’apprentissage par la lecture
Lilja insiste sur le fait que pour devenir écrivain, il faut d’abord être un lecteur assidu :
« Je pense que tous les écrivains doivent d’abord être des lecteurs. Il faut lire de bons livres pour pouvoir écrire de bons livres. Rien ne peut préparer à l’écriture autant que la lecture. Ça deviendra naturel pour vous quand vous aurez lu beaucoup de livres. »
Une autrice autodidacte née dans le chaudron de l’écriture :
Bien qu’elle ait étudié l’éducation à l’université, Lilja se considère principalement comme une autodidacte en matière d’écriture :
« J’ai étudié l’éducation à l’université, théorie de l’éducation, les Grecs, tout ça. C’est un de mes centres d’intérêt. J’ai également écrit beaucoup de manuels et des sites web pour les enseignants, en particulier pour l’éducation des jeunes enfants. J’ai suivi un cours de creative writing à l’université, mais je suis plutôt une autodidacte ! »
Les règles du récit de Mystère
Selon Lilja, les principes fondamentaux d’un bon roman policier sont similaires à ceux de toute autre fiction :
« Je pense que les règles de base d’un bon roman policier sont les mêmes règles de base que pour tout autre roman. Il faut qu’il y ait des personnages crédibles, ainsi qu’une histoire forte. Une bonne histoire et de bons personnages. Et voilà. »
Elle privilégie une structure dynamique, avec des chapitres courts et un rythme soutenu :
« En ce qui concerne mes romans policiers, je les écris un peu dans le style thriller. J’aime utiliser des chapitres courts et accélérer le rythme de l’histoire. Mais c’est ma préférence personnelle. »
Éviter les stéréotypes
Lilja cherche à se démarquer des clichés du genre :
« Je n’aime pas le coup de l’inspecteur alcoolique et dépressif. J’aime créer des personnages féminins forts, avoir des personnages LGBT dans mes histoires, parce que c’est aussi mon monde. Et j’aime ce rythme rapide, qui tend vers le thriller d’action. Je n’écris pas de thrillers d’action, mais j’aime bien aller un peu dans cette direction. »
L’hybridation des genres
Sans s’y attarder consciemment, Lilja mélange les genres dans ses œuvres. Elle explique :
« Je suis consciente que j’aime écrire dans le style thriller, mais ma dernière série sur ‘Áróra’ relève davantage du récit de mystère. On commence par le crime et ensuite, le livre cherche à le résoudre. C’est une structure de mystère classique. Il s’agit donc de thrillers mystérieux, mais ‘Rouge comme la mer’ est un thriller domestique. »
Elle cite ses influences :
« J’ai été très, très inspirée par Harlan Coben, Shari Lapena, et les nouveaux écrivains américains, leur manière de tout garder dans une sorte de huis-clos, dans une seule maison. Et la question, c’est toujours : à quel point connaissez-vous les personnes les plus proches de vous ? »
La préparation et la recherche
Lilja accorde une grande importance à la crédibilité de ses histoires. Elle détaille son processus de recherche :
« Une partie se passe dans votre tête. Vous prenez des notes, vous réfléchissez, vous regardez des séries qui y ressemblent, vous cherchez des livres qui pourraient être en rapport avec le sujet. Vous consultez des dictionnaires, des bibliothèques, juste des choses basiques. »
Elle souligne l’importance de visiter les lieux décrits :
« J’aime aussi visiter les lieux sur lesquels j’écris parce que j’aime être aussi réaliste que possible sans que ça coûte à l’histoire. Si je dois choisir entre ce qui marche pour l’histoire ou ce qui est réaliste, je choisirai toujours l’histoire. »
Pour s’assurer de la véracité de ses descriptions, elle n’hésite pas à s’immerger dans les milieux qu’elle dépeint :
« J’ai donc été stagiaire à la police. Je suis allée visiter des prisons. J’ai observé la police des douanes pour voir comment ça fonctionne. Quand j’écris sur des métiers que je ne connais pas, j’essaie d’enquêter autant que possible pour livrer une histoire crédible. »
Conseils aux aspirants écrivains
Lilja encourage les nouveaux auteurs à lire abondamment et à écrire les histoires qui les passionnent :
« Mon conseil serait de lire beaucoup de bons livres et d’écrire l’histoire qui vous passionne. Ça ne sert à rien de réfléchir à ce qui sera à la mode, ce qui va se vendre. Parce que personne ne le sait. Même les personnes les plus expérimentées dans l’édition ne savent pas ce qui sera le prochain succès ou la prochaine mode. Personne ne le sait. »
Elle insiste sur l’importance de rester fidèle à soi-même :
« La seule chose que vous puissiez faire en tant qu’auteur est d’écrire la meilleure histoire possible. Je dis toujours aux gens, écrivez une histoire que vous aimeriez lire. De cette manière, il faut être fidèle à soi-même. Vous savez, écrivez la meilleure histoire que vous pouvez. Et il faut que ce soit une histoire que vous aimez. Il faut aimer son histoire. »
Le courage de partager
En tant qu’enseignante en écriture, Lilja identifie le courage de partager son travail comme le défi le plus difficile pour les écrivains en herbe :
« Je pense que c’est le courage, vous savez, de se mettre en avant. Parce que c’est pas rien d’écrire quelque chose et de le présenter. C’est facile d’écrire, mais c’est difficile de le montrer aux autres parce qu’on a l’impression que si ce n’est pas assez bon, on va être ridicule ou recevoir de mauvaises critiques. »
Elle partage son expérience personnelle pour encourager les autres :
« J’ai appris à ne pas être gênée ou sensible quand quelque chose que j’écris ne marche pas. Il faut apprendre à sortir de sa coquille et aller de l’avant. ‘Ce n’est peut-être pas mon meilleur texte, mais voici ce que j’ai écrit. J’espère que vous l’aimerez.’ C’est la seule chose que tu puisses faire. »
L’impact de l’intelligence artificielle sur la Littérature
Interrogée sur la menace que pourrait représenter l’intelligence artificielle pour la littérature, Lilja reconnaît l’inquiétude que cela peut susciter chez les auteurs :
« C’est très intéressant et aussi très effrayant pour nous, auteurs, parce que nous pourrions être sans emploi dans deux ans, vous voyez ? Non, je ne le pense pas vraiment. »
Elle voit l’IA comme un outil, mais doute de sa capacité à remplacer la créativité humaine :
« Je pense qu’il peut s’agir d’un bon outil pour de nombreux emplois. Vous pouvez l’utiliser comme secrétaire, mais je ne pense pas que ça prendra le relais en tant que force créative, parce que l’intelligence artificielle est basée sur ce que l’esprit humain a fait auparavant. »
Lilja souligne les limites de l’IA en termes d’originalité :
« À un moment donné, ça ne marchera plus, ça ne sera plus assez original. Parce qu’il s’agit essentiellement d’un algorithme, n’est-ce pas ? »
Elle admet toutefois utiliser l’IA pour certaines tâches pratiques :
« Pour les articles de blog, les posts sur les réseaux sociaux, ou quand on me demande d’écrire un résumé de mon livre, je peux utiliser l’intelligence artificielle pour ça, parce qu’elle maîtrise l’anglais bien mieux que moi. Et je dois beaucoup écrire en anglais, pour les éditeurs du monde entier. »
Cependant, elle reste sceptique quant à son utilisation pour la création littéraire :
« J’ai essayé de jouer avec, de l’utiliser par exemple, en lui demandant d’écrire un chapitre où un chien est témoin d’un meurtre. Le résultat était pas mal. Mais on dirait que ChatGPT a une personnalité trop optimiste. Toujours à dire ‘et tout est bien qui finit bien’. Mais non, c’est pas comme ça que ça marche. Il faut être plus sombre que ça ! »
Points Clés de l’Apprentissage de la Narration selon Lilja Sigurðardóttir
Thème | Approche de Lilja Sigurðardóttir |
Importance de l’histoire | « Pour moi, c’est toujours l’histoire qui compte. Il faut qu’il y ait une bonne histoire, quel que soit le genre littéraire. » |
Héritage culturel et familial | Influence de la tradition orale islandaise et d’une famille d’auteurs passionnés de littérature, mélangeant les genres et les styles. |
Apprentissage par la lecture | « Il faut lire de bons livres pour pouvoir écrire de bons livres. Rien ne peut préparer à l’écriture autant que la lecture. » |
Formation en écriture | « J’ai suivi un cours de creative writing à l’université, mais je suis plutôt une autodidacte ! » |
Règles du récit de mystère | « Il faut qu’il y ait des personnages crédibles, ainsi qu’une histoire forte. Une bonne histoire et de bons personnages. » |
Hybridation des genres | « Je réalise à la fin que, ‘Ah oui, c’est vrai. C’est plus un mystère ou une enquête qu’un thriller.’ Mais cela vient naturellement. » |
Recherche et préparation | Importance de la crédibilité par la recherche, mais toujours au service de l’histoire plutôt que du réalisme strict. |
Conseils aux écrivains | « Écrivez l’histoire qui vous passionne. Ça ne sert à rien de réfléchir à ce qui sera à la mode. Parce que personne ne sait ce que sera la mode de demain. » |
Impact de l’IA sur la littérature | « Je ne pense pas que ça prendra le relais en tant que force créative, parce que l’intelligence artificielle est basée sur ce que l’esprit humain a fait auparavant. » |
Enseignement de la narration | « Il faut apprendre à sortir de sa coquille et aller de l’avant. C’est la seule chose que tu puisses faire. » |
Conclusion
Lilja Sigurðardóttir incarne une approche passionnée et authentique de l’écriture. Elle allie héritage culturel, expérience personnelle et ouverture aux influences contemporaines pour créer des récits captivants. Son parcours souligne l’importance de la lecture, de la recherche et du courage de partager son travail. Dans un monde en constante évolution, elle reste convaincue que la créativité humaine demeure au cœur de la narration, un art qui ne peut être remplacé par aucune machine.
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