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Les techniques d’écriture de la science-fiction – Alastair Reynolds


 “Devenir un bon écrivain c’est comme gravir une montagne sans fin”

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Les Artisans de la Fiction ont rencontré l’écrivain de SF anglais Alastair Reynolds. Alastair Reynolds est l’auteur de l’impressionnant
Cycle des Inhibiteurs, un space opera hard SF en quatre tomes (Pocket). Entre une conférence et une séance de dédicaces, Alastair Reynolds a généreusement répondu à nos questions sur les techniques d’écriture spécifiques à la Science-Fiction, avec modestie et précision.

Artisans de la Fiction : Comment travaillez-vous la préparation de vos romans ? Faites-vous beaucoup de construction sur les personnages et le background de l’histoire ?
Alastair Reynolds : J’ai écrit une quinzaine de romans et mon approche a été différente pour chacun d’entre eux. Pour les premiers j’ai beaucoup planifié avant la rédaction, en détaillant l’intrigue avec des notes pour chaque chapitre. Mais je me suis rendu compte que ce n’était pas une méthode de travail qui me correspondait. Je préfère commencer tout de suite à écrire et laisser les choses venir. Je structure mes idées, mais je ne suis pas du genre à passer des semaines à organiser mon histoire avant de rédiger quoi que ce soit.

Vous n’avez donc pas d’approche systématique. Par quoi commencez-vous : une idée, une situation ou plutôt un personnage ?
 Je débute par quelques lignes, quelques notes personnelles, qui sont également destinées à mon éditeur, afin de lui montrer de quoi parlera le livre. J’attaque généralement l’écriture par ce qui pourrait être une scène d’ouverture, et je poursuis à partir de là. Mais cette scène ne se retrouvera pas forcément dans le livre au final. C’est simplement pour commencer.

Abordons la question de l’univers narratif. Lorsque vous entamez un projet, est-ce plus simple en termes de préparation, s’il se déroule dans le même univers narratif qu’un de vos précédents livres ?
Quand on reprend et qu’on étend un univers connu dans un nouveau roman, il y a beaucoup de questions de cohérence à se poser : la cohérence de l’univers lui-même et la cohérence des personnages aussi. Lorsqu’on crée un univers neuf, il faut le définir entièrement, poser ses règles de fonctionnement et sa géographie. Les deux choses sont aussi complexes pour moi. J’ai écrit plusieurs livres qui sont liés entre eux, j’ai aussi écrit des romans qui n’appartiennent pas à une série, et aucun ne m’a paru vraiment plus simple à créer.

En tant que narrateur, comment avez-vous appris la manière dont les histoires fonctionnent ?
Je pense que c’est un processus personnel et continu de découverte. Je n’ai pas encore le “golden eye”, alors j’essaie de comprendre ce qu’est vraiment une histoire. Vous pouvez réussir à composer une très bonne intrigue, mais ce n’est pas la même chose qu’arriver à écrire un récit qui plaise au lecteur. Ça, c’est une autre étape, et je m’exercer encore à passer de l’un à l’autre.

Parfois j’écris un texte auquel les lecteurs se connectent vraiment émotionnellement. Et j’ai de très bons retours sur la construction narrative de ce texte. Et une autre fois, je vais écrire un texte où j’utiliserai les mêmes effets et il apparaît clairement que ça ne provoque pas la même chose chez les lecteurs. Je n’ai pas encore la réponse à ce problème, c’est pour ça que je continue à étudier. Et ça ne s’arrêtera jamais.

Vous savez, je ne pense pas que tous les personnages doivent être sympathiques, mais je crois que le lecteur doit s’intéresser aux motivations de chaque protagoniste. Le lecteur peut détester un personnage et avoir envie qu’il soit puni, mais le lecteur doit comprendre les convictions de ce personnage. C’est un des points où j’essaye de m’améliorer aujourd’hui.

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Et cet apprentissage de ce qui fonctionne dans une histoire, vous le nourrissez en écrivant et lisant d’autres auteurs ?
Oui. Après avoir écrit une quinzaine de livres, et reçu beaucoup de retours, j’ai acquis un certain sens de ce qui marche et ne marche pas. Ça me guide dans mes choix d’écriture. J’ai aujourd’hui une idée des choses à éviter et de celles qui payent.

Mais écrire un roman est un processus complexe. On essaye d’être juste sur une énorme quantité de points en même temps : l’histoire doit avoir une logique narrative, une bonne intrigue qui doit aussi être originale pour que le lecteur ne devine pas ce qui va arriver. Le lecteur doit aussi croire aux personnages, il faut que les personnages ressemblent à des personnes réelles, qu’ils soient bien distincts les uns des autres. Puis on travaille sur les thèmes que l’on développe dans l’histoire afin qu’ils soient profonds et donnent à réfléchir aux lecteurs. On doit aussi se préoccuper du langage et du point de vue…

À chaque fois que je pense maîtriser un élément, je comprends qu’il y en a un autre à dompter. J’ai l’impression que devenir un bon écrivain c’est comme gravir une montagne sans fin. Mais c’est un défi qui continue de m’amuser, je ne m’en lasserai jamais.

Pensez-vous que les jeunes auteurs aient besoin de prendre des leçons ou de lire des ouvrages sur la narration ?
Lorsque j’ai commencé à apprendre l’artisanat de l’écriture —je n’ai jamais arrêté d’ailleurs— j’ai lu tous les livres que j’ai pu trouver sur le sujet. Il y a le livre “Écriture, mémoires d’un métier” de Stephen King qui est sorti il y a quelque année (1). Je trouve que c’est un bon livre sur l’écriture, plein de conseils utiles. Si je pouvais remonter le temps et me le conseiller à moi-même plus jeune, je le ferais. Il m’aurait évité beaucoup de tracas à l’époque.

De même, participer à des ateliers d’écriture ou à des groupes de bêta-lecture sur internet sont des pratiques très utiles, jusqu’à un certain point. Après, pour être un bon écrivain, il faut écrire, écrire beaucoup. Il faut réussir à oublier les distractions, dépasser ses complexes, et écrire. C’est en écrivant et ré-écrivant qu’on s’améliore. Je pense que la théorie des 10 000 heures d’exercices nécessaire pour maîtriser une pratique est assez juste. Je m’approche doucement de ces 10 000 heures (2). Je n’ai pas de talent inné, je ne suis pas un génie, j’ai juste l’envie d’être un auteur. Tout ce que j’ai pu réussir en littérature, c’est par un long et dur travail que j’y suis arrivé.

 Nous sommes en train de traduire le livre de Ben Bova sur l’écriture de science-fiction (3). Il y explique que l’auteur de science-fiction, en particulier, doit fournir beaucoup d’effort pour décrire un monde qui n’existe pas pour le lecteur. Qu’est-ce que vous en pensez ?
En science-fiction, il faut parvenir à donner l’impression au lecteur que l’univers que l’on décrit est plus complexe qu’il n’y parait. On crée une illusion dans l’esprit du lecteur pour qu’il croie toujours qu’il y a un truc caché au coin de la rue. Si on raconte l’histoire d’une civilisation galactique, on ne peut pas donner le nom de toutes les planètes habitées, mais l’auteur doit faire croire qu’il connaît le nom de toutes ces planètes.

Il existe des astuces pour donner les sentiments qu’il y a un monde plus vaste derrières la page. Écrire des nouvelles est un très bon exercice pour apprendre à maîtriser ces méthodes, car on manque de place pour faire vivre son univers et raconter l’histoire. Si on arrive à écrire ça en 3000 mots, on acquiert une compétence qui sera très utile dans l’écriture de roman.

Une dernière question, quel serait votre conseil à un apprenti écrivain ?
Un conseil très commun : écrivez beaucoup, produisez beaucoup de texte. Et une chose que j’ai appliqué dans ma carrière : finissez ce que vous avez commencé. J’ai une règle : si j’ai déjà investi 50% de l’effort nécessaire pour écrire une histoire, alors je vais jusqu’au bout. C’est toujours payant, on en retire toujours quelque chose.

Je me suis rendu compte que quel que soit le projet, une nouvelle ou un roman, quel que soit le niveau que l’on ait, lorsque l’on commence à écrire, tout est super. Puis arrive un point où l’on perd confiance. On se dit que le texte est merdique, “pourquoi j’ai commencé ça ?”. C’est le moment où beaucoup d’écrivains abandonnent le projet et passent à un suivant. Et la même chose arrive sur l’autre projet et finalement ils ne terminent jamais rien, et n’apprennent jamais comment conclure une histoire. Aujourd’hui encore pour chaque texte, je passe par ce point où je me dis que tout est nul. Mais je sais que ça fait partie du processus d’écriture et je m’accroche, je boucle le projet.

Ensuite je l’envoie à un éditeur, une revue ou un site web, et je commence un autre projet. L’avantage de commencer à travailler sur un autre texte, c’est que quelques semaines après l’envoi, quand l’éditeur vous contacte pour vous dire que votre nouvelle est pourrie, qu’il n’en veut pas, et bien vous vous en fichez. Votre investissement émotionnel a déjà basculé sur votre nouveau projet. En revanche si l’éditeur vous dit qu’il a aimé ce que vous avez envoyé, alors ça vous donne énormément d’énergie pour le projet en cours.

Alors voilà ce que je conseille : finissez ce que vous commencez, puis attaquez autre chose. Et ne passez pas des années à essayer de peaufiner le même texte. Écrivez plutôt beaucoup de textes différents.

  1. Écriture : Mémoires d’un métier, Albin Michel, 2001.
  2. Théorie des 10 000 heures : travaux du Professeur K. Anderson Ericsson, popularisés par le livre Outliers de Malcolm Gladwell (édition Little Brown And Cie, 2009, en anglais), expliquant que 10 00 heures d’exercice sont la clé pour devenir un expert dans n’importe quel domaine.
  3. The Craft of Writing Science Fiction That Sells, Writers Digest Books, 1994, en anglais.

Interview réalisée par Lionel Tran & Loïc Mauran. Transcription & Traduction : Loïc Mauran.

Merci aux Intergalactiques de nous avoir permis de réaliser cette interview.

Pour en savoir plus :

Festival des Intergalactiques : http://www.intergalactiques.net

Alastair Reynolds :

Site officiel (en anglais) : http://www.alastairreynolds.com

Fiche Wikipédia : https://fr.wikipedia.org/wiki/Alastair_Reynolds

 

 

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