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Techniques d’écriture du polar – Todd Robinson


« Le secret, c’est de lire beaucoup »


Todd Robinson est né en 1972 et a créé une revue spécialisée dans la littérature noire et policière qui a remporté de nombreux prix aux États-Unis. Il a été paysagiste, garde du corps, barman et videur – principalement au Roxy à New York et au fameux Rathskeller à Boston. Il vit aujourd’hui dans le Queens et travaille toujours dans un bar de Manhattan où il organise régulièrement des rencontres littéraires.

Les Artisans de la Fiction : Comment avez-vous appris les règles du polar ?
Todd Robinson : Je n’ai pas nécessairement « appris les règles ». C’est plutôt que ce genre m’a parlé dès que je l’ai découvert, parce que j’ai tout de suite compris que le type d’histoires et de personnages qu’on y trouvait étaient les mêmes que dans ma vie. Je travaillais dans des bars malfamés, où les clients étaient tous des criminels, et il y avait entre nous une tradition de se raconter des histoires. Alors quand j’ai commencé à lire des auteurs qui racontaient ce type d’histoires, je me suis dit que je pouvais le faire aussi. Mais je ne suis pas sûr qu’il y ait des règles à proprement parler. Ce qui m’intéresse, c’est de comprendre quelles sont les règles que les lecteurs s’imaginent, et de les briser.

Donc vous étiez habitué à raconter ce type d’histoires oralement, puis vous avez découvert des auteurs qui le faisaient par écrit ?
Absolument. Mes histoires, je les connaissais déjà. Certains auteurs de polar font des recherches très poussées, ils connaissent des flics, ils ont un réseau d’informateurs. Moi, j’avais juste à me rendre au travail ! En termes d’univers narratif, tout était là. Il suffisait de tendre l’oreille, de garder les yeux ouverts, de boire un ou deux whiskys et d’écrire le livre. Il y a des parties de mes livres qui sont des histoires vraies, mais qui ont été rejetées par des éditeurs parce qu’ils les jugeaient peu crédibles.

Votre univers narratif est entièrement basé sur votre expérience ?
Oui, et mes personnages aussi. Il y a très peu d’exceptions, et même quand il y en a, c’est juste que je prends quelques libertés par rapport à une personne réelle. Je suis beaucoup plus fasciné par les personnages qui m’entourent que par ceux que je pourrais créer de toutes pièces. Les vraies personnes sont toujours plus intéressantes, plus complexes, avec plus de détails.

Je veux qu’en lisant mes livres, les lecteurs aient l’impression qu’on leur raconte à voix haute une bonne histoire de bistrot.

Parmi les nombreuses histoires que vous vivez ou entendez au travail, comment choisissez-vous lesquelles raconter ?
Certaines de mes histoires sont composites : elles mélangent différents bouts d’histoires vraies. D’autres sont racontées telles quelles. Au début de mon roman Cassandra, une jeune fille disparaît après avoir assisté à un concert rock dans un club. Ça, c’est vraiment arrivé. Ce soir-là, j’ai parlé à son père, qui est venu la chercher au club. Et par la suite, c’est devenu l’incident déclencheur de mon roman. Parce que j’ai réalisé que dans cet univers de bars, de rockeurs et de punks, j’étais mieux placé que la police pour rechercher cette fille ! Alors je me suis demandé, J’ai une voix bien distincte, et quand elle ne transparaît pas assez dans mes textes, je les réécrits.

« Comment m’y serais-je pris pour retrouver cette gamine ? », et c’est devenu l’histoire de mon roman. Puis j’ai ajouté d’autres incidents et personnages, eux aussi inspirés d’histoires vraies. Je veux qu’en lisant mes livres, les lecteurs aient l’impression qu’on leur raconte à voix haute une bonne histoire de bistrot. D’ailleurs certains s’en plaignent : « On adore tes livres, mais on a l’impression que tu nous hurles dessus pendant 300 pages ! » (Rires). J’ai une voix bien distincte, et quand elle ne transparaît pas assez dans mes textes, je les réécrits.

Pour les personnages, modifiez-vous ou inventez-vous certains détails ?
Le moins possible. Plus je colle à la réalité, plus mes personnages sont vivants. L’un de mes personnages, par exemple, est basé sur une tenancière de bar que j’ai côtoyé pendant des années. Une vieille coriace avec une voix rauque. Ce personnage, je l’ai appelé Frieda. Mais en réalité cette femme s’appelait Audrey. Quand elle a appris que j’avais créé un personnage basé sur elle, Audrey m’a menacé de sa voix rauque : « Je m’appelle Audrey. Pas Frieda. » Je lui ai répondu « Oui madame », puis j’ai utilisé son vrai prénom. Cette femme est un personnage incroyable… Quand les gens me disent que j’ai beaucoup d’imagination, je leur explique que non ! Tout est basé sur la réalité.

Dans vos romans, l’auteur et le narrateur se confondent-ils ?
Totalement. Mon personnage, c’est moi il y a quinze ans, avec un peu plus de cheveux et quinze kilos en moins. Le point de vue, c’est toujours le mien. Les choix aussi. Pas nécessairement les choix que j’ai fait, mais ceux que j’aurais aimé faire. Et parfois ces choix ont des conséquences, et j’explore ces conséquences. Pour moi c’est la façon la plus sûre d’écrire une histoire. Mais j’aimerais être plus courageux en tant qu’écrivain, et adopter des points de vue qui ne sont pas les miens. Beaucoup d’autres écrivains le font, mais pour moi c’est difficile.

Vous dites que vous n’avez pas appris les règles du polar, pourtant vous semblez connaître les règles de la fiction…
Le secret, c’est de lire beaucoup. On absorbe le fonctionnement de la structure. Mais ce qui m’intéresse, c’est de contourner les règles. Dans mes livres, on suit toujours une structure familière… Jusqu’à un certain point. Là où beaucoup de romans se termineraient, moi je continue. Et ça terrifie les lecteurs. Parce qu’ils sentent que le livre devrait être fini, et ils ne comprennent pourquoi il leur reste toutes ces pages. C’est un choix délibéré de ma part.
Dans tous mes livres, j’utilise une technique que j’appelle « Le Gros Truc Stupide ». Ça consiste à faire quelque chose de si stupide que je ne suis même pas sûr d’y arriver. Dans chacun de mes livres je veux qu’il y ait un événement énorme, qui soit un challenge à écrire et qui piège le lecteur. Pour mon dernier livre, je parlais à mon agent, et nous étions tous deux un peu éméchés. Je lui ai dit « Voilà en quoi consiste le ‘Gros Truc Stupide’ de mon prochain roman. » Je lui ai expliqué, et son visage s’est décomposé. « Tu penses que ça peut marcher ? » lui ai-je demandé. « Je ne sais pas, a-t-elle bredouillé ; essaye et je te dirai ». Alors je l’ai fait, et elle a adoré. Parce qu’à ce moment du livre, c’était la seule décision logique pour mes personnages. Dans chacun de mes livres je veux qu’il y ait un événement énorme, qui soit un challenge à écrire et qui piège le lecteur.


Vous savez donc quelle règle vous voulez contourner ?
Oui. Prenons un exemple : le film L’Irlandais, avec Don Cheadle. Dans ce film il y a une scène qui m’énerve, parce qu’elle est si bonne que j’aurais aimé l’écrire. C’est la scène traditionnelle où le criminel donne un pot-de-vin à la police. Cette scène se déroule à l’identique dans des dizaines de films et de romans. Le criminel donne une mallette au flic, qui dit « Le compte y est ? », puis le criminel réponds « Tu peux compter toi-même, si tu veux. » Puis le flic hésite et dit « Non, je te fais confiance » avant de partir avec la mallette. Eh bien, dans L’Irlandais, quand le criminel paye les flics et qu’ils lui demandent si le compte y est, le criminel leur hurle dessus : « Bien sûr que le compte y est ! Il faudrait vraiment être stupide pour se tromper de somme ! Quel genre d’idiot pourrait mettre la mauvaise somme dans une mallette ? » Et les flics regardent leurs chaussures, penauds. En la lisant, je me suis demandé ce que j’aurais fait à la place de l’auteur.
Moi quand j’ai vu cette scène, je me suis dit « Pourquoi personne n’avais jamais fait ça ? » On a vu cette scène tellement de fois, et elle se déroule toujours pareil. Ça me rappelle un roman que j’ai lu récemment, où deux criminels devaient se débarrasser d’un corps. Là aussi, c’est le genre de scène qu’on a déjà vu des tonnes de fois. En la lisant, je me suis demandé ce que j’aurais fait à la place de l’auteur. Et j’en ai conclus que moi, j’aurais fait vomir mes personnages ! Parce que ça me paraît logique, et que ça n’a jamais été fait.

Quel conseil donneriez-vous à un écrivain débutant ?
A part la drogue ? (Rires.) Je lui dirai que le plus important est de trouver sa propre voix. Parce qu’au final, c’est la seule chose qui le distinguera des autres. Deux personnes peuvent raconter la même blague, avec exactement les mêmes mots ; pour l’une d’elles, on sera pendu à ses lèvres ; pour l’autre, on baillera en attendant la chute. La différence c’est la voix, la façon dont l’histoire est racontée, le rythme des mots… C’est vrai à l’oral comme à l’écrit. Trouver sa voix est le plus important, même si ça prend des années. Pour moi ce qui marche, c’est de lire mes textes à voix haute, mais ça ne conviendra pas forcément à tout le monde… Le principal, c’est de découvrir qui vous êtes vraiment.

Pour finir, un mot sur Elmore Leonard. Qu’avez-vous appris de lui ?
L’importance des dialogues. Et d’avoir des personnages qui s’expriment de façon distincte. Dans son roman Loin des yeux, par exemple, il y un personnage nommé Snoopy qui se transforme à chaque scène, selon son interlocuteur. Pourtant on reconnaît toujours sa voix. Même quand il était très vieux, Leonard savait exactement comment on parlait dans la rue. Pourtant l’argot change selon les époques. Mais Leonard, qui a écrit durant cinq décennies, a toujours collé parfaitement à l’époque où se passait ses romans. Pour moi c’est incroyable.

Ses dialogues sont très dynamiques. Violents et intelligents à la fois, comme si les personnages se mettaient des coups de poing verbaux.
Et drôles ! C’est le problème de la plupart des films adaptés de ses romans : ils ne comprennent pas son sens de l’humour. Sauf l’équipe de scénaristes de la série Justified, qui est inspirée d’une de ses nouvelles. Ces gars-là ont exactement saisit l’écriture d’Elmore Leonard.

Tarantino lui a tout volé, pour ses dialogues ?
Quitte à copier quelqu’un, autant copier le meilleur. C’est difficile. En tout cas moi j’ai essayé, mais je n’y suis pas arrivé.

 

Remerciements à la Librairie Vivement Dimanche.
Interview : Lionel Tran
TRADUCTION (bénévole)  : Pierre Larsen.

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