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Le master de création littéraire – Interview Violaine Houdart-Merot


Les masters de création littéraire sont encore jeunes mais ils tentent de transformer les études de lettres à l’université. Nous avons interviewé Violaine Houdart-Merot, instigatrice du master de création littéraire de l’Université de Cergy-Pontoise et auteur de « La création littéraire à l’université ». Elle revient avec nous sur le fonctionnement et les enjeux d’un tel master.

Parlons du master de création littéraire !

  • Quels sont les enjeux qui vous ont poussé à créer le master de création littéraire, quelles difficultés avez-vous rencontré ?

L’enjeu principal pour moi a été le désir de redonner du sens aux études de lettres en retrouvant cet équilibre perdu entre culture du commentaire et culture rhétorique. J’avais fait une thèse sur la culture littéraire au lycée depuis 1880 qui m’avait convaincue des dégâts qu’avaient faits cet abandon d’une réelle pratique d’écriture, au profit des seuls exercices de commentaire. Mon expérience personnelle des ateliers d’écriture m’a poussée d’abord à introduire en licence des ateliers d’écriture créative dont j’ai pu constater d’emblée l’enthousiasme qu’ils suscitaient et le rôle aussi qu’ils jouaient pour faire des étudiants de meilleurs lecteurs. J’ai ensuite créé, avec Amarie Petitjean, un Diplôme universitaire d’écriture créative – qui existe toujours-, plus facile à concevoir qu’un master, et dont la réussite a été un tremplin vers la mise en place plus complexe d’un master de création littéraire.

La difficulté a été de convaincre tous mes collègues de l’intérêt pour les étudiants de ce nouveau type de master, donnant une place importante à la pratique littéraire et formant à différents métiers de l’écriture. L’autre difficulté a concerné la possibilité de rétribuer les écrivains invités chaque année pour des résidences d’écrivains ou des master class.

   Mais les collègues les plus méfiants en ont été assez vite convaincus en constatant l’engouement incroyable de cette nouvelle formation, alors que les masters de recherche en littérature sont en général en perte de vitesse, un peu partout en France. Dès la première année, nous avons eu un grand nombre de candidatures, au point que nous avons du faire une sélection importante. 

  • Quelle place occupait l’apprentissage des techniques d’écriture créative dans vos ateliers ?

 Je n’étais pas la seule à encadrer ces ateliers d’écriture et la diversité des encadrants m’a toujours semblée essentielle, précisément pour éviter qu’il y ait un modèle unique, une manière de faire unique. Parmi les ateliers proposés à Cergy, il y a un atelier d’écriture numérique, un autre de traduction littéraire et une place est toujours donnée à des écrivains qui interviennent durant un semestre ou pour des master class.

L’apprentissage des techniques d’écriture créative est le plus souvent associé à l’observation de textes d’écrivains, étudiés dans une perspective d’écriture. Ces points diffèrent selon le thème de l’atelier. Parfois des points théoriques sont proposés (autour d’une notion comme la focalisation, le traitement du temps, ou la métalepse par exemple, mais toujours en s’appuyant sur des exemples littéraires.

Parfois, c’est à la suite des premières versions produites par les étudiants que des conseils sont donnés, qu’il s’agisse du recours à telle ou telle notion ou de conseils de lectures qui peuvent venir résoudre un problème posé par un texte. Mais les retours des autres étudiants jouent aussi un rôle important pour amener les étudiants à revenir sur leur texte et explorer d’autres modalités d’écriture.

  • À quels débouchés ont accès les élèves du master de création littéraire ? Aspirent-ils en majorité devenir des auteurs publiés ou des chercheurs dans le domaine de la création littéraire ?

Les motivations des étudiants qui candidatent sont variées, mais, fondamentalement liées à un fort désir d’écrire. Nous en tenons compte d’ailleurs dans la sélection des dossiers. Nous ne leur faisons pas croire que chaque étudiant pourra vivre de sa plume ni même forcément être publié. Au contraire nous insistons pour qu’ils préparent leur avenir professionnel. L’une des unités d’enseignement consiste précisément en un accompagnement du projet professionnel, avec des rencontres avec des professionnels et on leur demande de suivre un stage dans la perspective de ce projet.

Notre master comprend également une formation à la SGDL sur les droits d’auteurs entre autres, ainsi qu’une formation à l’animation d’ateliers d’écriture. A l’issue du master, certains poursuivent en doctorat, d’autres se dirigent vers l’enseignement, les métiers des réseaux sociaux, ou encore de la publicité, de la communication, ou même de l’édition ou du journalisme. Pour certains, qui arrivent d’horizons très variés et ont déjà un métier, c’est une parenthèse qu’ils s’offrent et qui va leur permettre d’enrichir leur expérience professionnelle d’une toute autre façon.

  • Comment se passe l’évaluation des compétences de vos élèves en matière de création littéraire ?

La difficulté à évaluer un écrit créatif est souvent donnée comme argument – ou comme prétexte – pour dire que la création littéraire ne peut être enseignée. Et pourtant, un enseignant en lettres passe son existence à lire, et donc à évaluer (au sens d’estimer la valeur) des œuvres littéraires qu’il étudie, et d’autant plus depuis que l’université s’intéresse aux écrivains contemporains, alors que la tradition a longtemps été de n’étudier que des écrivains morts, déjà patrimonialisés.

Par ailleurs, dans toute évaluation il y a une part de subjectivité, elle existe aussi pour évaluer une dissertation, mais l’important est que cette évaluation soit explicitée. Enfin, une carrière d’écrivain est jalonnée de prix qui évaluent et classent les œuvres. Il est formateur pour un apprenti-écrivain d’être confronté au regard et au jugement des lecteurs.

« Ce qui importe n’est pas tant la note que les observations »

Nous essayons d’expliciter les critères d’évaluation. Ceux-ci diffèrent selon qu’il s’agit du mémoire de master en recherche-création ou des ateliers en licence.

Dans le cas des ateliers en licence, nous observons la manière dont la proposition d’écriture a été traitée, sa conformité à la consigne ou son détournement, sachant qu’un détournement assumé peut être tout à fait productif et intéressant. Nous tenons compte aussi de l’adéquation entre le fond et la forme, de l’utilisation de compétences littéraires (procédés narratifs, figures de style, métaphores « vives » et non stéréoypées etc), de la densité du texte, de ses enjeux de signification, du travail éventuel de mise en page, lorsqu’il est signifiant. Certains critères dépendent du genre choisi. Ainsi, pour des dialogues de théâtre, on observe plus spécifiquement le jeu sur les registres de langue, la manière dont chaque personnage parle, la tension dramatique …

Enfin, nous accordons aussi une importance à la qualité du travail de réécriture dont le texte a été l’objet et à la capacité de l’étudiant à avoir un regard réflexif sur ce qu’il a écrit.

Mais les modalités d’évaluation peuvent varier d’une personne à l’autre, et même d’un texte à l’autre. Ce qui importe n’est pas tant la note que les observations qui sont faites sur ce qui nous semble réussi et les pistes données pour aller plus loin.

  • L’oralité occupe une place importante dans le master que vous avez dirigé, pour quelles raisons ? Que pensez-vous des ateliers d’écriture qui ne l’utilisent pas (notamment en distanciel, aux moyens de plateformes différentes) ?

L’oralité est en effet très présente, en master comme en licence. Elle permet le partage avec les autres étudiants des textes produits. Cette mise en voix des textes développe des compétences importantes à différents égards. Mais il est important aussi d’alterner lectures écrites et écoute de textes proférés à haute voix, car l’oralisation induit un certain type de texte, au détriment de textes qui seraient plus « écrits », et qui passeraient moins bien à l’oral. De plus, il importe de pouvoir travailler sur le texte écrit pour revenir plus précisément sur tel ou tel passage. En master, il arrive assez souvent que les textes soient produits hors de l’atelier, envoyés avant la séance à chacun. La lecture se fait alors en amont, de manière individuelle, la séance étant consacrée à l’analyse de chaque texte. 

Par ailleurs, en master notamment, nous incitons les étudiants à présenter leurs écrits hors de l’université (Maison de la poésie, théâtres voisins, festivals d’écriture…) et un atelier est prévu au sein du master pour le travail de la voix et les performances, mené par un enseignant qui pratique lui-même le théâtre. Ce type d’apprentissage nous semble important à une époque où la littérature se pratique beaucoup plus qu’avant « hors du livre » pour reprendre l’expression d’Olivia Rosenthal et Lionel Ruffel.

Certes les ateliers à distance ne permettent pas  ce travail sur la voix ou même sur le corps. Mais l’essentiel est néanmoins la possibilité d’être accompagné dans un travail d’écriture et d’avoir un retour précis sur ce qu’ils ont écrits.

  • La peur de la standardisation (ou de “l’américanisation”) des textes produits est encore très présente, qu’est-ce que vous en pensez ? Peut-on faire de la création littéraire sans écrire à l’américaine ?

Les résistances sont encore nombeuses par rapport à un apprentissage de l’écriture. La peur du formatage est souvent évoquée. Or il me semble que le danger de standardisation est au contraire plus fort si l’on écrit dans la solitude en ayant recours à des modèles parfois étroits dont on n’a pas toujours conscience. A l’inverse, dans un master, chacun est amené à se frotter à une diversités de genres littéraires, d’esthétiques, de styles différents, à lire une grande quantité d’œuvres littéraires. 

Le meilleur argument que l’on peut donner est celui de la grande diversité des textes produits par les étudiants. À partir d’une même proposition d’écriture, ils sont les premiers stupéfaits de constater la variété des écrits. De même, si l’on regarde les différents mémoires rédigés par les étudiants de master, on est frappé par leur variété. Enfin les premières publications nées de masters de création littéraire, à Cergy comme à Paris 8 ou au Havre, manifestent aussi une grande diversité d’écriture et de centres d’intérêt.

« On n’a jamais reproché aux ateliers de peintres ou aux écoles de musique d’être source de standardisation »

Je pourrais citer À l’approche de Virginie Gautier, œuvre poétique d’une grande force (éditions du Chemin de fer, 2017), née des trajets réguliers dans le RER A pour se rendre de Paris à Cergy. L’ouvrage vient d’être choisi par l’association Ciclic (établissement public de coopération culturelle de la région Centre-Val de Loire) pour être étudié par tous les lycéens de cette région. Ce livre n’a rien à voir avec le roman publié par Marin Fouqué (qui fut également étudiant en master à Cergy et qui par ailleurs est rappeur) paru chez Actes Sud en 2019, 77. Il raconte la vie désoeuvrée de quelques jeunes du « sept-sept », en Seine-et-marne, réflexion sur le territoire et le rapport au temps, dans une écriture au rythme saccadé, parfois violent, dans un flux de conscience. Rien de particulièrement « américain » dans ces deux livres, mais à chaque fois des écritures très singulières.

Par ailleurs, on n’a jamais reproché aux ateliers de peintres ou aux écoles de musique d’être source de standardisation. Pourquoi est-ce que seul l’art littéraire devrait se passer de la richesse des échanges ? Les écoles littéraires ont-elles été nocives ?

  • Aujourd’hui, vous accompagnez des doctorants en création littéraire : quels sont leurs axes de recherche les plus prometteurs, pour vous ?

Toutes les recherches sont passionnantes à partir du moment où il y a une réelle interaction entre la recherche théorique et la création littéraire et que ce travail créatif est lui-même conçu comme une recherche, l’expérimentation d’une forme adéquate. Ces nouvelles thèses s’appuient sur la conviction qu’un écrivain digne de ce nom doit toujours être capable de penser ce qu’il fait, même si, bien entendu, le processus d’écriture comporte une part d’inconscient.

Dans cette mesure, il est plus important dans un premier temps que les étudiants qui travaillent dans un domaine particulier (par exemple la biographie, la littérature de voyage, la fiction documentée, l’écopoésie, les résurgences d’une poésie orale…) aient lu les œuvres littéraires et les travaux théoriques qui touchent à ce domaine, de manière à nourrir aussi leur travail créatif, dans un va-et-vient entre pratique d’écriture, lectures et réflexions théoriques. L’intérêt de ces travaux est aussi de fournir une réflexion, utile pour d’autres, sur les processus d’écriture mis en jeu.

Ce qui me paraît prometteur également, c’est la réflexion qui s’amorce sur la manière d’écrire la recherche en littérature, la revendication d’une écriture de la recherche qui soit plus personnelle, une écriture qui ne se réduise pas au « non-style » que Charles Coustille a observé dans l’écriture de thèses académiques.

Nous remercions grandement Violaine Houdart-Mérot pour cet entretien très riche. Désormais vous connaissez les enjeux et le fonctionnement d’un master de création littéraire. Nous vous invitons également à consulter la première partie de cette interview, dédiée à l’apprentissage de l’écriture dans l’université française.

Il existe de nombreuses approches de l’apprentissage de l’écriture dont celle proposée par les Artisans de la Fiction. Nous organisons régulièrement des journées d’initiation pour permettre aux élèves de tester notre approche.

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